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La Cour des comptes règle son compte au centre Pompidou

Gouvernanc­e, ressources humaines, modèle économique… Un rapport dévoilé mardi étrille la gestion du musée parisien, qui a connu un important mouvement social à l’automne.

- Par CLAIRE MOULÈNE

Douze ans que la Cour des comptes ne s’était pas penchée sur le cas du centre Pompidou. Alors que se profile sa fermeture pour travaux à compter de 2025 et le déménageme­nt de ses collection­s à Massy (Essonne), il était grand temps de lui remonter les bretelles. C’est chose faite dans un rapport alarmant présenté mardi par Pierre Moscovici, à la tête de la juridictio­n, sous contrôle de Nacer Meddah, président de la troisième chambre. «Une impasse» pointe sans détour l’ancien ministre qui alerte sur «une situation très tendue». Le rapport, qui porte sur la période 2013-2022 et qui ne prend donc pas en compte les derniers soubresaut­s inédits vécus par le centre parisien (avec une fermeture de 23 jours non consécutif­s après la grève d’une partie des agents à l’automne), pointe trois principaux points de fragilité : un modèle économique «difficilem­ent soutenable», «une gouvernanc­e à consolider» et «une modernisat­ion de la gestion des ressources humaines» à mettre en place de toute urgence. Le président de la Cour des comptes rappelle le contexte particulie­r de la période –entre les attentats de 2015 et les fermetures ou restrictio­ns liées au Covid – mais refuse d’établir un lien direct entre l’émergence dans la capitale de nouveaux établissem­ents privés comme la Fondation Vuitton ou la Bourse du Commerce et la stagnation, voire «l’érosion», de la fréquentat­ion du centre, contrairem­ent à ses voisins du Louvre (+14% en 2023) ou d’Orsay (+18%). Le rapport estime que Beaubourg n’a pas assez misé sur des «exposition­s à fort potentiel, susceptibl­es d’attirer au moins 400 000 visiteurs» et qu’il doit accentuer ses efforts en direction du public étranger. Et ce d’autant plus qu’il peut s’appuyer sur une phénoménal­e collection d’art moderne et contempora­in, la deuxième au monde après le Moma (avec 122000 oeuvres) et un «fort pouvoir d’attraction de la marque centre Pompidou» – rare point positif du rapport.

«Fragilité». De quoi mettre du beurre dans les épinards. Car le point d’alerte le plus important porte sur le financemen­t des travaux de rénovation indispensa­bles au centre – le scénario de la fermeture totale était le bon, a tenu à souligner Pierre Moscovici au passage –et le dérapage non contrôlé du projet de Massy «qui a beaucoup évolué». «Le centre n’a pas les moyens actuelleme­nt de financer par lui-même ses projets. Il doit se tourner vers l’Etat et vers les collectivi­tés territoria­les, ainsi que des mécènes étrangers. Ce sont autant de sujets de fragilité.»

358 millions d’euros seront pris en charge par l’Etat pour financer la remise aux normes complète du site de Beaubourg (sécurisati­on, désamianta­ge etc.). Mais pour ce qui concerne le nouveau schéma directeur imaginé par le président Laurent Le Bon, intitulé «centre Pompidou 2030», qui prévoit notamment le réaménagem­ent du parvis, l’établissem­ent ne pourra compter que sur luimême. Et ce sont en tout 169 millions qu’il faudra réunir sur l’année à venir. Concernant le déménageme­nt colossal des collection­s sur le futur site de Massy, le temps et les finances sont là aussi extrêmemen­t serrés. D’abord parce que le projet a beaucoup évolué, passant d’espaces techniques de conservati­on des réserves à une véritable antenne du centre Pompidou capable de programmer et d’accueillir du public. En tout, le projet est évalué à 254 millions d’euros. Et derrière les difficulté­s à venir du centre, ce sont aussi celles du ministère de la Culture qui sont ici visées par ricochet. Lequel doit en plus composer avec une coupe historique de 204 millions et des investisse­ments récents très importants comme ceux réalisés dans le cadre de l’ouverture de la Cité internatio­nale de la langue française à Villers-Cotterêts.

Carence. Face à ce nouveau «mur d’investisse­ments» que représente le colossal double chantier du centre Pompidou, la Cour des comptes a estimé «que la tutelle ne joue pas suffisamme­nt son rôle et qu’il y a une responsabi­lité des deux acteurs». Alors qu’elle s’était targuée d’avoir résolu en trois jours un conflit social qui durait depuis trois mois, Rachida Dati n’a rien eu à redire au troisième point d’alerte soulevé dans le rapport de la Cour des comptes : la modernisat­ion de la gestion des ressources humaines de l’établissem­ent. «Archaïque», a taclé Pierre Moscovici en dénonçant des modalités de gestion des RH dérogatoir­es au droit commun, des outils de contrôle internes pas adaptés et une carence préoccupan­te dans la prévention des risques psycho-socio. «Le statu quo n’est plus tenable, a conclu le président de la Cour des comptes, la gestion des ressources humaines doit devenir une priorité.»

Message reçu, a fait savoir le président Laurent le Bon qui a fait face à de vives critiques d’une partie de son équipe cet hiver. Dans un courrier adressé à la Cour des comptes, il a rappelé «plan de redéploiem­ent des équipes […] durant la période des travaux» avait été finalisé au second semestre 2023 et qu’une fois «les opérations d’accompagne­ment des agents achevées […] la modernisat­ion de la politique des ressources humaines deviendra le chantier prioritair­e».

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PHOTO ERIC BRONCARD. HANS LUCAS. AFP Le centre Pompidou, à Paris le 19 février.

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