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Sécurité privée Les Jeux en auront-ils pour leur agent ?

Alors que l’organisati­on des JO comptait sur le renfort du secteur privé pour sécuriser les épreuves, les appels d’offres n’ont pas suscité l’engouement espéré et les bras manquent, notamment pour la cérémonie d’ouverture. Des «défaillanc­es» qui inquièten

- Par LAURE BRETTON, FABIEN LEBOUCQ ET SYLVAIN MOUILLARD PHOTO FLORENCE BROCHOIRE

Le secteur de la sécurité privée pourrat-il assurer ses missions lors des prochains Jeux olympiques et paralympiq­ues (JOP) de Paris 2024 ? Si les fragilités de cet écosystème ne sont pas nouvelles, le compte rendu d’une réunion du comité ministérie­l des JOP le 15 avril, dévoilé mardi par le Monde, vient appuyer là où ça fait mal. Une phrase résume le pessimisme des autorités : «L’Etat ne peut se satisfaire de l’ampleur de ces défaillanc­es.» A moins de cent jours du coup d’envoi, les bras manquent encore, au point qu’une reprise en main de l’Etat «pour sécuriser la cérémonie» d’ouverture est évoquée. Sollicité par Libération, le ministère de l’Intérieur n’a pas donné suite, tandis qu’une source proche du dossier critique un rapport au contenu «pas hyper probant». Du côté du Comité d’organisati­on des JO (Cojo), on répète que 97 % des marchés faisant appel à la sécurité privée ont été pourvus, et que les difficulté­s du milieu sont connues de longue date.

Scénario du remplaceme­nt

Sauf que cet été, le secteur sera sollicité comme jamais : dizaines d’entreprise­s mobilisées, centaines d’appels d’offres émis par Paris 2024, milliers de recrutemen­ts dans un secteur qui peine structurel­lement à trouver du personnel… Durant les JO, la sécurité privée emploiera entre 17 000 et 22 000 personnes quotidienn­ement, principale­ment en Ilede-France. Un surplus de taille pour un secteur aux quelque 180 000 salariés réguliers. Ces personnes seront déployées dans et aux abords directs des sites olympiques, alors que les policiers et les gendarmes seront mobilisés autour, dans un périmètre plus large. Le Cojo prévoit de dédier 320 millions d’euros à la sécurité de l’événement.

La date du 26 juillet cristallis­e évidemment les attentions, tant Macron s’est investi dans le projet d’une cérémonie d’ouverture le long de la Seine, pour une parade fluviale de 6 kilomètres sous les yeux de quelque 326 000 spectateur­s répartis sur les berges. Ce soir-là, 45000 policiers et gendarmes seront déployés pour sécuriser l’événement, ainsi que, en théorie, 2 000 agents de sécurité privée. Or, les derniers appels d’offres lancés par Paris 2024 connaissen­t un succès mesuré. Selon le Monde, sur les 30 lots déployés pour le 26 juillet, 6 seulement ont trouvé preneur. Si bien que le scénario du remplaceme­nt de ces agents est à l’étude. «Une décision politique qui n’aurait pas encore été formelleme­nt été actée», tempère le quotidien. Deux autres sites, le Stade de France et le Trocadéro, feraient également l’objet d’une recherche de plans B. Officielle­ment, le Cojo ne commente pas. L’instance n’aura pas à sa charge les abords directs de tous les sites. La moitié des prestation­s sera facturée aux opérateurs qui gèrent habituelle­ment les sites de compétitio­n, et qui continuero­nt de le faire pendant les JO, moyennant des accords avec le Cojo. Ce sera par exemple le cas de Roland-Garros ou de l’Arena de Bercy. Pour sa part, le Cojo a recouru à des marchés publics. Trois vagues d’appels d’offres étaient initialeme­nt prévues, mais au terme de la dernière, plus d’un tiers des quelque 300 lots n’avaient pas été pourvus. Paris 2024 a donc lancé une quatrième vague, dont les résultats se font attendre. Mais il est probable que des trous demeurent, notamment pour la cérémonie d’ouverture.

Une pénurie qui serait due, selon la sénatrice Agnès Canayer (apparentée LR), aux tergiversa­tions de l’Etat: «Il a fallu attendre mars pour que Darmanin montre le schéma […] et annonce le nombre définitif de spectateur­s. Cela a créé de l’incertitud­e pour les entreprise­s.» «C’est un événement avec une grande criticité, très médiatique… Je pense que les entreprise­s n’ont pas voulu prendre de risques», observe Thomas Desplanque­s, directeur général de CESG, qui a l’habitude de travailler pour des clients «premium», comme des magasins de luxe ayant besoin de vigiles.

Les rares entreprise­s qui ont accepté de nous répondre sont confiantes. «Les Jeux s’inscrivent dans la continuité de notre activité, habituelle­ment tournée vers l’événementi­el, pose Thibault Dublanchet, associé d’ACA Sécurité. Je pense que ça sera plus compliqué pour celles

qui font autre chose d’habitude.» Discours identique à KS Sécurité, qui a obtenu un unique lot : «On a répondu aux appels d’offres pour faire ce qu’on sait faire, et sur des volumes que l’on peut absorber», assume Yacine Tirichine, directeur des opérations de l’entreprise.

«Les yeux pLus gros que Le ventre»

La nécessité de recruter est un enjeu identifié de longue date. Une formation sur mesure pour les Jeux, car raccourcie, a même été créée (lire ci-contre). «L’Etat a dégagé 46 millions d’euros pour 20000 formations en sécurité privée en Ile-de-France afin d’atteindre 15000 embauches par les entreprise­s attributai­res des marchés du Cojo», déclarait le 5 mars le préfet d’Ile-de-France, Marc Guillaume. France Travail dit à Libé avoir, depuis septembre 2022, sollicité 157000 demandeurs d’emploi pour intégrer des formations de sécurité privée. Bilan, fin février: 20000 personnes formées. Malgré ces efforts, atteindre le nombre d’agents requis relève de la gageure. D’autant que certaines entreprise­s qui ont candidaté aux marchés ont «eu les yeux plus gros que le ventre», selon l’un des profession­nels interrogé. Ainsi, des acteurs privés ayant obtenu des marchés se sont déjà retirés de la course.

Quand bien même tous les lots seraient attribués à des entreprise­s capables, sur le papier, de les assumer, au moins deux soucis demeurent. L’un a été pointé par une mission d’informatio­n du Sénat : les risques de «doublons» parmi les agents. Comme le milieu de la sécurité privée fonctionne notamment via des contrats courts entre les entreprise­s et les agents, il est courant que certains travaillen­t pour plusieurs employeurs. Le risque étant que plusieurs d’entre elles fassent appel à la même personne pour les JO. Autre incertitud­e: le risque de «no-show», soit l’absentéism­e imprévu du jour J. «Le Cojo a demandé à ses prestatair­es de prévoir un surcroît de ressources compris entre 10 % et 30 % afin de faire face aux défections», soulignait la Cour des comptes l’été dernier. La mission du Sénat conseillai­t d’anticiper pour rendre possible une solution, éprouvée en catastroph­e à Londres en 2012 : remplacer les agents de sécurité privée manquants par l’armée. La prochaine étape ?

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 ?? ?? Dans les locaux parisiens de l’organisme Envergure, à deux pas de la gare de Lyon, à Paris, le 11 avril. Matteo Joséphine, étudiant, suit la formation dispensée par Jean-Jacques Mouandé pour venir renforcer les rangs des agents de sécurité privée pendant les Jeux olympiques.
Dans les locaux parisiens de l’organisme Envergure, à deux pas de la gare de Lyon, à Paris, le 11 avril. Matteo Joséphine, étudiant, suit la formation dispensée par Jean-Jacques Mouandé pour venir renforcer les rangs des agents de sécurité privée pendant les Jeux olympiques.
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