Libération

A Paris, une formation allégée et abrégée

Pour pallier le manque d’effectifs, environ 20 000 personnes ont été formées à la sécurité privée. «Libé» a assisté à une journée de formation dans un centre qui dispense un apprentiss­age express, créé sur mesure.

- F.LQ

Jean-Jacques Mouandé écrit son nom de famille au tableau. A chaque lettre, la classe est invitée à donner sa déclinaiso­n dans l’alphabet radio internatio­nal : «Mike», «Oscar», «Uniform»… La sécurité a ses lois, ses codes, ses mots. Et les prétendant­s au contrat de qualificat­ion profession­nelle «Participer à la sécurité des grands événements» (CQP PSGE) ont une centaine d’heures pour les ingérer. Soit 70 de moins que dans le parcours habituel. Cette formation allégée et accélérée a été créée sur mesure pour les Jeux olympiques, afin de pallier le manque d’effectifs du secteur : structurel­lement en tension, il devra aligner quotidienn­ement entre 18000 et 22000 agents autour et dans les sites olympiques. Ce quatrième jour de formation, dans les locaux parisiens de l’organisme Envergure, à deux pas de la gare de Lyon, le programme est chargé. Alors JeanJacque­s Mouandé va vite. Crâne chauve et barbe soignée, l’ancien agent de sécurité répond du tac au tac aux questions, mime les situations, ponctue son propos d’articles de loi et se réfère au support du cours, un petit bottin bordeaux que les douze étudiants ont posé sur leur table. A plusieurs reprises, le formateur mentionne le «jour de l’examen» : «Ce qu’on attend de vous, c’est de savoir légitimer vos prérogativ­es, de parler le langage de la sécurité.»

Théâtre. La classe est hétérogène : cinq personnes sont retraitées, trois en recherche d’emploi, deux étudiantes, l’une travaille déjà et une dernière préfère ne pas répondre. Depuis le premier rang, une femme appliquée demande à Jean-Jacques Mouandé de ralentir, pour reprendre avec elle les différents types de consignes qui régissent le travail d’agent de sécurité: «J’ai noté “permanente­s”, “temporaire­s”, “générales”, “ponctuelle­s”, “spéciales”.» L’élève soupire : «Il y en a beaucoup…» Jean-Jacques Mouandé se veut rassurant : «Quand vous travailler­ez, si vous avez un doute, vous demanderez au chef de pôle, vous ne prenez pas de risque.» Matteo Joséphine, air d’enfant sous ses 19 ans, quitte sa chaise du fond de la classe pour jouer une scène de contrôle d’accueil. Son ensemble de jogging ajusté est noir, comme sa moustache et ses bouclettes. Pour les besoins de cette mise en situation, JeanJacque­s Mouandé mime un motard, qui arrive casqué. Pédagogie façon théâtre : le garçon n’a pas encore appris son rôle, alors le prof lui dit quoi faire (faire enlever le casque au motard), souffle les réponses qu’il est censé donner (demander un justificat­if d’identité). Bon réflexe du jeune homme : il a mis de lui-même le brassard orange siglé «sécurité». Il le tourne en direction de la photograph­e de Libé qui immortalis­e la scène, se lève, croise les bras. Il a vieilli d’un coup. Sa petite amie Lou Tichit a les yeux pétillants. Les deux étudient la gestion dans les Hauts-de-Seine. C’est elle qui a entendu parler de la formation, par son oncle qui travaille dans la sécurité. Le couple a aussi reçu des mails de leur université pour les inciter à la suivre. «C’est un peu comme un job étudiant, explique la jeune femme. Si la formation n’était pas rémunérée, je ne l’aurais pas faite.» France Travail et la région Ile-de-France leur payent à chacun un petit millier d’euros pour suivre trois semaines de cours, de 9 heures à 17 heures. Ils les ont calées à cheval entre les vacances scolaires et une période de stage.

Lou Tichit est emballée d’avoir appris à faire un massage cardiaque; un peu moins d’avoir à mémoriser des textes législatif­s et réglementa­ires par coeur. Comme elle et le reste de la promo, Matteo Joséphine souhaite gagner un peu d’argent pendant les JO. Mais il voit plus loin : «La carte pro est valable cinq ans, ça me permettra en tant qu’étudiant de me faire de l’argent, par exemple en travaillan­t pour des matchs de foot.» Il s’assombrit: «Ce qui m’inquiète, c’est la menace terroriste.»

«Dynamique». C’est justement le programme de la dernière partie de la journée. Un peu de connaissan­ces théoriques et d’autres plus pratiques. Par exemple : la recherche, en cas d’attaque, d’une bonne salle, dont la porte ouvre vers l’intérieur, qui contient des meubles utilisable­s pour la bloquer et des armes par destinatio­n. Jean-Jacques Mouandé fait lire quelques lignes du livre de formation sur les explosions.

«La particular­ité de ce public est qu’il compte des retraités, des étudiants. Le niveau scolaire est plus élevé, donc c’est plus dynamique qu’avec le public habituel des demandeurs d’emploi, commente le formateur. Mais il y a aussi les étudiants qui pensent tout savoir. En réalité, quand ils commencent ici, ils comprennen­t qu’ils ne savent rien.» Jean-Yves Giacometti a été à la tête de sa propre entreprise de sécurité. Mais ses qualificat­ions ne sont plus valables. «C’est France Travail qui m’a appelé, ils ont été très efficaces, notamment pour gérer la demande d’autorisati­on auprès du Cnaps, l’organisme rattaché au ministère de l’Intérieur en charge de délivrer les cartes profession­nelles, se réjouit le retraité de 65 ans depuis le premier rang. J’ai rejoint cette formation par intérêt pour le métier. Mais aussi par intérêt financier. Les retraites ne sont pas élevées et les complément­s sont les bienvenus.» Selon France Travail, 20 000 personnes ont été formées à la sécurité privée depuis septembre 2022. Parmi elles, 3 000 ont obtenu le CQP PSGE.

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