«Challengers», c’est pas de la balle
Luca Guadagnino atteint un nouveau degré de racolage avec ce triangle amoureux dans le milieu du tennis, où le sexy le dispute au vide.
Il n’y a pas de plaisir coupable, prétendent parfois les gens qui s’en sont néanmoins voulu de vibrer devant Call Me by Your Name. Comment comprendre un spécimen comme Luca Guadagnino, alors ? On ne pourra certes pas reprocher au cinéaste italien de faire des films sans plaisir, et de ne pas savoir de quoi est fait celui du spectateur. Plaisir au sens d’excitation, ou même de plaisance, comme on dirait d’une croisière de luxe, où détailler la garde-robe de la clientèle fait partie de l’agrément. Qu’on se rassure devant Challengers, triangle amoureux garanti volcanique dans le milieu du tennis. Pour son premier projet de studio, le faiseur d’indé haut de gamme n’a pas renoncé à nous donner des gravures de mode pour acteurs, d’ailleurs traités en égéries publicitaires par le défilé de marques de sport à l’écran. Et atteint un niveau de racolage qui passerait presque pour rock’n’roll ici, tant il s’obstine à rendre ses stars plus sexuelles que ne le tolère normalement le moule hollywoodien propre sur lui. Au prolifique Luca Guadagnino (IMDB ne lui prête pas moins de
nd sept projets en développement ou préproduction), il faut évidemment attribuer l’objet de culte pubertaire qu’est devenu Timothée Chalamet aujourd’hui.
Bromance. Ici, les British Josh O’Connor (le jeune Prince Charles de The Crown) et Mike Faist (la vraie révélation du West Side Story de Spielberg), oreilles décollées et silhouettes d’athlètes, semblent en mission pour catéchiser les sceptiques de la nouvelle masculinité hollywoodienne. Des tronches plutôt que des minois, car le guingois est le nouveau sexy, demandez donc à leurs frères de hype Jeremy Allen White, Barry Keoghan…
Fous de tennis, deux meilleurs potes s’arrachent donc l’amour de la déesse Zendaya, prêts à sacrifier leur bromance homoérotique (beaucoup d’aliments phalliques croqués en se regardant dans les yeux) chaque fois que l’exigera ce Grand Chelem scénaristique de la tromperie et re-retromperie. Le plus sentimental des deux devient un athlète riche et célèbre, mis sur la touche par une blessure. La fille de ses rêves l’épouse et se change en coach castratrice, toujours chatouillée dans la culotte dès qu’elle retombe sur son ex, Casanova tête à claque. Surtout, cette ancienne championne aime le tennis plus que son mari, qu’elle menace de quitter s’il se révèle incapable de mettre la pâtée à son meilleur ennemi au championnat de la dernière chance. Ces trois-là se feront du mal de tout leur soûl pour la beauté du match, dans un film qui traite la performance et l’attirance sur le même plan masochiste. L’ambiance est à la fausse sophistication méchante, chassécroisé à renversements multiples qui semble pasticher un artisan du fun à la Soderbergh. Sauf que le modèle est porté à un niveau d’épuisement qu’on veut croire parodique après une heure, la bandeson de Trent Reznor et Atticus Ross n’étant là que pour doper agressivement la tension des dialogues, les allers-retours chronologiques secouant ces situations répétitives au shaker.
Rien. Il n’est pas évident de cerner quel genre de cinéaste veut être Luca Guadagnino, chacun de ses films (dont il ne signe pas les scénarios) semblant pensé comme son propre concept. Passée inaperçue en plein confinement, sa mini-série teen We Are Who We Are laissait entrevoir qu’il y avait plus sous le capot que la prédilection pour les remakes qui éclaboussent (la Piscine, Suspiria) et l’éthos de cinéphile qui porte beau et chic ses références surléchées. C’était sans compter sur les ressorts de ce Challengers, culminant dans un grand climax de rien, trop sérieux pour se vouloir ironique. Enfin, on croit. Enfin, on ne sait plus. Enfin, on veut même plus savoir.
CHALLENGERS DE LUCA GUADAGNINO avec Zendaya, Josh O’Connor, Mike Faist… 2h11.