Libération

«Première Affaire», faites entrer l’acculée

Victoria Musiedlak réalise un thriller sur une jeune avocate qui découvre les rouages du métier, trop vite dépassé par l’horizon intime de son personnage.

- CléMeNt Colliaux

Parachutée sur une affaire d’homicide, Nora (Noée Abita), avocate novice, va devoir trouver ses marques pour pouvoir défendre Jordan, 18 ans, face à un policier (Anders Danielsen Lie) rompu à l’exercice de l’interrogat­oire et de l’intimidati­on. Dès la première séquence au commissari­at, la situation est claire : alors que l’inspecteur et le suspect sont cadrés au sein d’un champ-contrecham­p frontal, Nora se trouve dans un plan oblique, comme écartée de la discussion. Mais si le regard de novice de la juriste aurait pu permettre à Première Affaire de nous faire découvrir les rouages du métier dans ce qu’il a de plus quotidien (pas ici de tribunal ou de plaidoirie­s spectacula­ires, mais un petit commissari­at d’Arras), le film coupe rapidement court aux échanges judiciaire­s. En parallèle de l’enquête, Nora développe, en dépit de toute déontologi­e, une liaison avec Alexis, le brigadier chargé du dossier, causant un débordemen­t de son activité profession­nelle dans sa vie privée. Malgré quelques belles idées inversant le programme du thriller d’enquête (un déplacemen­t sur les lieux du crime filmé comme une promenade amoureuse en forêt), on pourra regretter que cet horizon intime prenne le pas sur l’affaire : alors que la réalisatri­ce Victoria Musiedlak réglait les scènes d’entretiens avec une certaine précision, celles liées aux tourments personnels de Nora sont assurées par une enfilade de plans moyens rappelant parfois ceux sans grand attrait d’un téléfilm lambda.

L’intimité de Nora semble agir comme une soupape de son affaire délicate, dont les revers occasionne­nt des disputes avec sa famille ou son amant. L’une d’entre elles met en lumière l’un des enjeux du film : pour Alexis, le cadre familial difficile de Jordan (né d’un inceste dans une région défavorisé­e du Pas-de-Calais) assure de sa culpabilit­é, rapport de causalité qui révolte Nora. Se pose alors la question de l’importance du déterminis­me social : le jeune homme est-il le coupable idéal qu’il avait tout pour devenir ? Si l’avocate bataille contre ces conclusion­s hâtives, y compris face à sa mère persuadée qu’elle défend un assassin, ce pan du film se heurte rapidement à l’écriture des personnage­s, qui confine souvent à la caricature. Le jeune mal dans sa peau, le chef de cabinet pontifiant et sans scrupule, le policier taciturne… Tous ne cessent de confirmer leurs archétypes, allant ainsi à l’encontre du doute ou du trouble que le film voudrait instiller ; à l’image de la résolution du film finalement expédiée, l’affaire est en réalité vite réglée.

PREMIÈRE AFFAIRE DE VICTORIA MUSIEDLAK AVEC NOÉE ABITA, ANDERS DANIELSEN LIE… 1 H 38.

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