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«Macron est perçu au niveau européen comme disruptif» nd

Pour Daniela Schwarzer, chercheuse à l’institut JacquesDel­ors, le Président a gagné en expérience depuis son premier discours de la Sorbonne. Quitte à brusquer parfois ses pairs européens.

- IntervIew Recueilli par CaMillE NEvEux

Un «grand Européen» pour certains (comme le rappelle l’ancien eurodéputé Daniel Cohn-Bendit, dont Emmanuel Macron fut un temps proche), avec une tendance à «franciser» les politiques européenne­s pour d’autres. Sept ans après son arrivée à l’Elysée et son grand discours de la Sorbonne sur l’Europe, le chef de l’Etat a réussi à imprimer sa patte sur le continent. Non sans irriter par son style et sa méthode. A Berlin – avec qui les relations sont plus que tièdes – mais aussi ailleurs, comme le rappelle la chercheuse allemande Daniela Schwarzer, experte en affaires européenne­s.

Depuis son premier discours sur l’Europe à la Sorbonne, Emmanuel Macron «l’Européen» a-t-il changé ?

Sa première prise de parole a eu lieu au début de son mandat, après une campagne très proeuropée­nne et des propositio­ns qui avaient suscité de l’intérêt, notamment en Allemagne. Son discours était très ambitieux et engagé, tant du point de vue allemand que de celui de ses autres partenaire­s européens. La France jouait alors un rôle de leadership, avec des défis à relever. Mais Angela Merkel, en poste outre-Rhin, n’a répondu à Emmanuel Macron que par petits pas, ce qui a constitué une asymétrie dans la relation entre la France et l’Allemagne. Depuis le premier discours de la Sorbonne, l’Europe a vécu des crises, du Covid-19 à la guerre en Ukraine, et de facto beaucoup de ses propositio­ns ont été mises en oeuvre. Macron est aujourd’hui plus expériment­é en tant que leader européen – et le contexte de sécurité en Europe a profondéme­nt changé. Son analyse des risques et des défis semble parfois plus accentuée que celles des Allemands. Notamment sur la relation avec la Chine, qui représente un défi pour le modèle économique européen, aujourd’hui dépendant d’un marché ouvert, alors que celui des Etats-Unis ou d’autres partenaire­s est plus protecteur.

Que peut-on attendre de son allocution ?

Il défendra sans doute le fait que l’Europe doit développer encore davantage son autonomie stratégiqu­e et qu’elle doit renforcer son économie, entre autres en matière de recherche et d’industrie, face à une Chine où l’Etat joue un rôle prépondéra­nt et face aux Etats-Unis où il existe une tendance protection­niste, quel que soit le président.

Quel regard portent ses homologues européens sur lui ?

Emmanuel Macron est perçu comme quelqu’un qui souhaite apporter sa contributi­on, mais avec un style parfois disruptif; quelqu’un qui n’essaye pas d’occulter la réalité, mais parle ouvertemen­t des défis. Sa formulatio­n sur le possible envoi de troupes en Ukraine, lors d’une conférence internatio­nale organisée à Paris en février, relevait pour certains de l’imprudence. Idem pour ses déclaratio­ns sur l’Otan en état de mort cérébrale au magazine The Economist, en novembre 2019, qui ont ouvert la discussion sur ce sujet de manière abrupte. Mais il faut reconnaîtr­e qu’il fait bouger les choses, surtout en Allemagne où la chancelièr­e Angela Merkel puis son successeur Olaf Scholz n’ont pas émis de grandes idées. Les Allemands ont une approche linéaire, sans feux d’artifice. Macron a, lui, une vision plus radicale du changement.

Où en est justement le couple franco-allemand ?

Il y a un vrai besoin de travailler ensemble. La mécanique fonctionne, mais sur le fond des choses, notamment sur la vision du modèle économique européen, il existe des divergence­s. Par rapport à la Chine, notamment, où la position allemande est qu’il faut renforcer les liens économique­s avec Pékin… Paris et Berlin doivent aujourd’hui également réfléchir à l’évolution de la gouvernanc­e de la zone euro et aux capacités budgétaire­s de l’Union européenne (UE). Si les deux peuvent faire avancer des idées, très bien. Mais s’ils sont en désaccord et se contredise­nt, cela affaiblira considérab­lement l’UE. La sécurité en Europe est remise en question depuis la guerre en Ukraine. Or, il faut des réponses sur comment financer le soutien aux Ukrainiens, comment se positionne­r face aux Américains, comment développer une politique européenne commune. Cela mérite une réponse franco-allemande concertée.

Qu’a réussi Emmanuel Macron en Europe jusqu’ici, et qu’a-t-il raté ?

Il a mis en avant le besoin d’un débat sur l’autonomie stratégiqu­e de l’UE, sur son rôle à l’internatio­nal. Avec le discours de Bratislava, tenu en mai 2023, il a aussi opéré un virage à 180 degrès sur l’élargissem­ent de l’UE en Europe centrale et orientale. Mais il n’a pas réussi à créer avec d’autres une vraie dynamique sur la politique de financemen­t d’une UE élargie –une thématique qu’il pourrait aborder aujourd’hui dans son discours. Il faut désormais préparer l’Union à ce qu’elle grandisse géographiq­uement, tout en faisant en sorte qu’elle garde sa capacité d’action. La sécurité et la défense européenne restent également des sujets cruciaux, surtout si Trump est réélu président des Etats-Unis. Mais même s’il ne l’est pas, les Américains demanderon­t à l’Europe de faire plus pour sa propre sécurité, car ils sont désormais tournés vers l’Asie.

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 ?? ?? Emmanuel Macron et Olaf Scholz, à Paris, le 22 janvier 2023. Photo MichAel KAPPeler. dPA. PictUre-AlliAnce. AFP
Emmanuel Macron et Olaf Scholz, à Paris, le 22 janvier 2023. Photo MichAel KAPPeler. dPA. PictUre-AlliAnce. AFP

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