Libération

«Mes enfants ont l’impression d’être toujours en captivité, c’est à l’intérieur d’eux»

Rescapée du 7 Octobre, la Franco-Israélienn­e Hadas Jaoui-Kalderon publie un livre sur son combat pour retrouver son fils Erez, âgé de 12 ans, et sa fille Sahar, 16 ans, libérés par le Hamas en novembre. Elle continue de lutter pour que tous les otages so

- Recueilli par Benjamin Delille

La dernière fois qu’on l’a vue, le 23 octobre, Hadas JaouiKalde­ron ne dormait plus. Tout son visage racontait la fatigue. Ses yeux transpirai­ent la détresse. «Le soir, je m’évanouis; la nuit, je hurle et je pleure ; et le matin, je reprends le combat», disait-elle alors. Un combat pour retrouver ses deux enfants, Erez, 12 ans, et Sahar, 16 ans, otages du Hamas à Gaza. Elle avait survécu à l’attaque du 7 Octobre dans son kibboutz de Nir Oz. Sans trop comprendre pourquoi, alors que sa nièce et sa mère avaient été tuées ensemble lors de cette journée funeste. Pour vaincre le deuil, elle est donc devenue une figure des familles d’otages mobilisées pour réclamer la libération de toutes les personnes emmenées dans l’enclave palestinie­nne à la suite de l’attaque du 7 Octobre. C’est ainsi qu’elle a pu retrouver ses enfants, dans un moment déchirant, lors de la trêve de novembre, qui a vu la libération de 112 otages. Elle en a fait un livre, 52 Jours sans eux (éd. Alisio). Mais leur père, Ofer, est toujours otage à Gaza. Hadas continue de se battre pour qu’il revienne en Israël, sans même savoir s’il est encore en vie, alors que les négociatio­ns avec le Hamas patinent et que 34 000 Gazaouis, selon les chiffres du ministère de la Santé de l’enclave contrôlé par le Hamas, sont morts dans la riposte de Tsahal. De passage à Paris, Hadas Jaoui-Kalderon s’est confiée à Libération.

Avez-vous retrouvé le sommeil ?

Je fais encore des cauchemars. Notre combat n’est pas encore terminé. Le père de mes enfants est toujours là-bas et il reste encore 129 otages [dont 34 sont morts, selon des responsabl­es israéliens, ndlr]. Je n’arriverai pas à dormir correcteme­nt tant que nous n’aurons pas obtenu leur libération. Nous ne pouvons pas encore reprendre une vie normale. Je ne suis pas sûre qu’on y arrive un jour. J’essaie, pour eux, pour mes enfants, mais c’est trop dur.

Dans votre livre, vous racontez le 7 Octobre tel que vous l’avez vécu, et votre combat pour récupérer vos enfants. Etait-ce important de l’écrire si vite ?

En vivant ce cauchemar, je me suis vite dit qu’un jour je l’écrirai. C’est arrivé si vite parce que je pense qu’il est important que les gens sachent précisémen­t ce qu’il s’est passé. Car beaucoup continuent de le nier. De plus en plus. Car l’antisémiti­sme progresse. Et je l’ai écrit pour que personne n’oublie que le cauchemar se poursuit aujourd’hui : pendant que nous parlons, 129 otages sont toujours là-bas, affamés, maltraités. Ils vivent dans de très mauvaises conditions et personne ne sait s’ils vont survivre. Je souhaite qu’il y ait une prise de conscience. La deuxième chose, c’est de dire au monde : ça suffit. Assez de terrorisme ! Assez de morts ! Assez ! Nous devons passer à une autre étape, et l’autre étape, c’est la paix. Vous avez des nouvelles de Ofer, le père de vos enfants ? Des signes de vie depuis la libération de ces derniers ?

J’en ai eu, mais je n’en ai plus.

Comment vos enfants vivent-ils tout cela? L’absence de leur père ?

Ils n’arrêtent pas d’y penser. Et ils savent exactement dans quel état il se trouve, parce qu’ils en ont fait l’expérience. C’est très dur pour eux. Ils sont très inquiets, très anxieux, très effrayés. Parce que nous recevons des informatio­ns négatives tous les jours. Personnell­ement, je ne veux pas d’une nouvelle tombe à visiter. Je veux un père pour mes enfants. Je veux quelqu’un qui les prenne dans ses bras, qui joue avec eux, qui voyage avec eux, qui leur donne un sentiment de sécurité. Ils ont perdu cela parce que ce qu’ils ont vécu a fait disparaîtr­e tout sentiment de sécurité élémentair­e. Ils sont habités par la peur.

A-t-il été difficile de discuter avec eux de ce qu’ils ont vécu lorsqu’ils étaient otages à Gaza ?

Au début, ils n’arrêtaient pas d’en parler. Mon garçon a dit que c’était comme un mauvais film d’horreur. Ma fille m’a dit : «Nous ne savions pas si tu étais en vie, nous ne savions

rien.» Ils m’ont donc tout raconté. Aujourd’hui, ils veulent mener une vie normale, ils essaient d’oublier, mais ils n’y arrivent pas. Ils n’en parlent plus beaucoup. Mais, comme le dit ma fille, ils ont l’impression d’être toujours à Gaza. Ils ont l’impression d’être toujours en captivité. C’est à l’intérieur d’eux. Une fois que vous avez été captif, c’est quelque chose qui vous hante tout le temps, vous ne pouvez pas vous en défaire. Ils me disent qu’ils ne seront plus jamais les mêmes. Je veux espérer qu’ils iront mieux, mais pour aller mieux, ils ont besoin de leur père.

Avez-vous célébré Pessa’h, la Pâque juive, qui se déroule en ce moment, malgré tout ?

Non, ce n’est pas possible. On se sent très coupables, même en buvant un café ou en prenant un bon repas. On se sent coupables tout le temps parce que [les otages] n’ont rien à manger. Nous ne pouvons pas faire la fête. Et Pessa’h, surtout, parle de libération. Comment pouvons-nous parler de libération alors que nos proches sont encore otages ?

Vous êtes devenue une figure du combat pour la libération des otages. Comment vivezvous

les derniers développem­ents de la guerre ?

Les choses vont de plus en plus mal. Je ne vois aucune solution. Tout est bloqué. Cela fait déjà 200 jours. Nous faisons toujours de notre mieux. Nous devons manifester beaucoup. Nous crions à tous les dirigeants: faites ce qu’il faut. Nous essayons de les rencontrer. Mais je ne peux pas le faire comme avant parce que je dois être là pour mes enfants. Je ne peux pas les laisser seuls. Ils ont besoin de moi. C’est dur, mais je sais que je dois continuer à me battre.

Comment avez-vous vécu la riposte iranienne contre Israël, dans la nuit du 13 au 14 avril ?

Je pense que cela indique que tout va dans la mauvaise direction. La situation est tellement tendue que tout le monde en parle et oublie les otages. C’est pourtant la chose la plus importante à l’heure actuelle : avant toute chose, il faut s’en occuper, les libérer, parce que c’est la bonne façon de procéder. C’est la façon la plus prudente de ne pas laisser tout le Moyen-Orient sombrer dans la guerre. C’est une situation très critique. Je ne veux pas d’un avenir de guerre pour mes enfants.

Gardez-vous un peu d’espoir ?

Je garde un tout petit peu d’optimisme, parce que je dois en garder un peu. Nous sommes à la croisée des chemins : soit nous allons vers une guerre totale au Moyen-Orient, soit on essaie enfin de discuter avec les pays arabes. Il faut que nous trouvions une voie politique, que nous trouvions un chemin vers la paix. Mais mon combat n’est pas politique. Mon combat est celui d’une mère qui a voulu récupérer les enfants qu’on lui avait pris. Je pense simplement que la volonté d’une mère peut déplacer des montagnes, et qu’il faut s’en inspirer.

Comment reconstrui­re sa vie après ce que vous avez vécu ?

Déjà grâce à mes enfants que j’ai retrouvés. Je peux respirer un peu mieux désormais. Je respire chaque fois que je les vois, chaque jour, parce que c’est un miracle qu’ils soient de retour alors que d’autres sont morts, que d’autres sont encore là-bas. Au moment de leur libération, jusqu’à la dernière seconde, jusqu’à ce que je les voie, je ne pouvais pas y croire. C’est un miracle, et j’ai besoin de plus de miracles. Maintenant, je dois être forte pour eux, je dois essayer de leur offrir une vie la plus normale possible, et c’est ce qui me prend le plus d’énergie.

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Des affiches en hommage aux otages encore retenus par le Hamas et d’autres groupes terroriste­s, le 7 avril à Réïm (Israël), près de Gaza.
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IntervIew
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Photo MAyA Alleruzzo. AP

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