Plan d’urgence pour l’école : 12 maires de Seine-Saint-Denis au tribunal
Un maire est-il légitime à exiger de l’Etat des moyens supplémentaires en matière d’éducation ? C’est tout l’enjeu du conflit qui opposait douze édiles de Seine-SaintDenis à la préfecture du département, réunis au tribunal administratif de Montreuil mercredi. En cause : les arrêtés que ces maires de gauche (de Bagnolet, Bobigny, La Courneuve, L’IleSaint-Denis, les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin, le Pré-Saint-Gervais, Romainville, Sevran et Stains) ont pris au début du mois, mettant l’Etat en demeure de déployer le plan d’urgence évalué et revendiqué depuis deux mois par la
n d communauté éducative du département, avec une astreinte de 500 euros par jour tant que les demandes ne seront pas satisfaites. Enseignants, psychologues de l’éducation nationale, accompagnantes d’élèves en situation de handicap (AESH), CPE : les besoins et donc les demandes varient selon les communes. Les arrêtés s’appuient sur un arrêt du Conseil d'Etat de 1995 qui considère que «le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public» et «qu’il appartient à l’autorité investie du pouvoir de police municipale de prendre toute mesure pour prévenir une atteinte à l’ordre public». Le préfet a jugé les arrêtés injustifiés et a demandé leur annulation.
«Pour le préfet de la SeineSaint-Denis, il est évident que les démarches des douze maires sont engagées d’une manière politique, et non juridique. On est là pour faire du droit et pas une analyse politique voire médiatique de la situation, a revendiqué Frédéric Antiphon, le secrétaire général de la préfecture. Le préfet considère qu’il n’y a pas de trouble à l’ordre public, pas d’atteinte à la dignité humaine et encore moins de discrimination raciale. Le maire n’a aucune compétence en matière d’éducation nationale, si ce n’est pour le bâti scolaire, ce que les maires semblent avoir oublié. Le maire ne tient d’aucun texte le pouvoir de décider du nombre d’enseignants, de psychologues et autres personnels de l’Education nationale qui doivent être affectés dans sa commune.»
En matière d’éducation, les maires ont une compétence sur les écoles primaires, les collèges et lycées relevant respectivement des départements et des régions. Ils sont principalement responsables du bâti scolaire et des personnels communaux. «C’est assez paradoxal de nous solliciter continuellement pour mettre à disposition nos agents et nous dire qu’on n’est pas légitimes pour prendre un arrêté dans le cadre de nos pouvoirs de police administrative», a réagi le maire (PS) de Bagnolet, Tony Di Martino, à l’issue de l’audience. «Quand des enfants manquent, dans leur scolarité, un an de tête-à-tête avec un enseignant et, de ce fait, vont se retrouver livrés à eux-mêmes, oui, il y a trouble à l’ordre public», a quant à lui défendu Gilles Poux, le maire (PCF) de La Courneuve. L’édile en a profité pour glisser un petit taquet à Gabriel Attal, en pleine entreprise de promotion des internats éducatifs, considérant cocasse que l’on propose plus d’école à des adolescents susceptibles de troubler l’ordre public. «L’Etat a le devoir constitutionnel de garantir le droit à l’éducation pour tous. Le fait d’empêcher les élèves d’accéder à l’instruction les empêche d’accéder aux libertés fondamentales», a défendu Joyce Pitcher, l’avocate de onze des douze maires.
«Ce n’est pas au maire de décider du nombre de postes. On n’est pas sur une décision de ressources humaines, il faut juste respecter vos obligations constitutionnelles et législatives, a complété Louis le Foyer de Costil, l’autre avocat des onze maires. Avant 2010, le droit à l’instruction n’était pas considéré comme une liberté fondamentale. Aujourd’hui, on a régulièrement des décisions qui enjoignent à l’Etat de faire cesser des atteintes graves et illégales au droit à l’instruction. Il y a eu une évolution jurisprudentielle sur le droit à la dignité. Etre toute la journée soit pas à l’école, soit à l’école avec une couche alors qu’on n’a plus l’âge d’en avoir une [pour un élève handicapé n’ayant pas d’AESH, ndlr], si ce n’est pas une atteinte à la dignité humaine, qu’est-ce que c’est ?» La décision a été mise en délibéré à vendredi.