Cher Gabriel Attal, à quand nd un Grenelle de la connerie ?
De l’ordre, de la discipline, des adolescents embastillés de 8 heures à 18 heures, les mesures répressives martelées par le Premier ministre le 18 avril à Viry-Châtillon sont consternantes.
Cher Gabriel Attal, vous et nous, c’est-à-dire presque 67 millions de Français, nous ne sommes pas allés à la même école. Chez nous, il y avait les derniers, les premiers, les moyens, mais ce n’était pas le plus important. Nous formions des groupes soudés, nous étions ensemble, pauvres, riches, chahuteurs, silencieux, drôles, têtes d’ampoules et cancres agaçants, parfois contre les profs, souvent avec eux. Dans notre école, personne ne se posait la question de ce qui entrait dans nos têtes, tout le monde savait que du bon et du beau en fleurirait. Il fallait juste de la patience, et de la confiance. Dans notre école, l’important n’était pas de savoir, ou encore de savoir répéter, mais de savoir être. Dans cette école, nous crier dessus était une erreur pédagogique, une exception. Et quand cela arrivait, nous étions marqués durablement. Alors de manière générale, on évitait de nous gifler à coups d’heures de colle, les professeurs savaient que pour apprendre, il fallait tester les limites, mais pas les déborder, éviter de crier, d’humilier, d’exclure, de distinguer.
Le dossier ParcoursuP
On apprend en se trompant.
J’ai souvenir de ce professeur qui claquait des doigts pour couper les bavardages et nous reconnectait à ses lèvres en un sourire : «Qu’y a-t-il de plus intéressant que l’histoire ?» répétait-il. Pour nous apprendre à vivre ensemble, ce qui allait devenir notre boulot à l’âge adulte, les professeurs évitaient les grands sermons et s’obligeaient à la bienveillance. Ils savaient que les jeunes font toujours l’inverse de ce qui est attendu. Mais c’est si facile de les emmener avec soi, il suffit de leur donner un peu d’amour.
Prenons mon exemple. J’étais un adolescent qui s’ennuyait à mourir à l’école, mes bulletins étaient autant tartinés de «peut mieux faire» que de «doit cesser les bavardages», j’ai eu le bac à peu près et un jour, je suis sorti de classe par la fenêtre en soutien à un camarade exclu de manière injuste. A la crise adolescente s’ajoutaient les déchirures d’une vie familiale troublée et l’obligation de travailler tous les weekends pour l’argent de poche, etc. Heureusement que mes professeurs ont su me soutenir plus que me tenir. Avec votre vision des choses, j’aurais hérité de la stupide mention «fauteur de troubles», un tatouage sur ce nouveau casier judiciaire qu’est devenu le dossier Parcoursup.
Avec votre lot d’annonces chinées dans le programme de l’UMP en 2007 à la sauce Patrick Buisson, une sacrée question se pose : «L’extrême droite est-elle déjà au pouvoir ?» De l’ordre, de la discipline, des adolescents embastillés de 8 heures à 18 heures, on dirait du mauvais Michelet, et c’est bien tout le problème. Il a conçu les lycées sur les modèles des casernes militaires. Depuis, la recherche en pédagogie, en neurosciences, en sciences de l’éducation, a fait 10 000 grands pas en avant, quand l’homme d’Etat que vous êtes nous impose d’en faire autant en arrière.
Vos annonces ?
Monsieur Attal, j’imagine que vous ne croyez pas à un seul mot de vos annonces. Seul compte l’impact qu’elles vont produire sur l’opinion, seule compte la démonstration de votre action, pas l’action elle-même. Les mots avant les gestes. Il fallait être écrivain M. Attal ! Comme Norman, Maeva Ghennam, ou Magali Berdah, vous avez préféré réaliser une ascension spectaculaire grâce aux réseaux sociaux. Nous pensions le monde politique protégé de cette manie à encenser celui qui récolte le plus de coeurs et de followers, et c’est peut-être «vieux monde» d’appréhender la vie de cette manière, mais nous sommes une majorité à encore préférer le savoir-faire au faire savoir. A préférer un Premier ministre qui sait se montrer ministre, même quand on ne partage pas sa ligne politique, plutôt qu’un TikTokeur de talent.
Monsieur Attal, que faudrait-il faire ? Je ne suis pas expert du sujet, mais j’écoute une bonne émission de radio qui en parle, je lis des articles scientifiques, journalistiques, je discute avec des professeurs, j’écoute des pointures en pédagogie. Déjà, ne faudrait-il pas se forcer à un changement de philosophie sur l’Education ? Se demander à quoi sert l’école à une époque où le changement climatique n’est plus une hypothèse et qu’il exige de nous préparer à une révolution d’ampleur de nos modes de vie ?
Que doit-on donner à nos enfants pour qu’ils soient prêts à se débattre avec le futur trouble qui les attend ? En fait, ne s’agit-il pas de revenir à l’essence de ce qu’a été la création de l’Education nationale à la française et non à sa forme ? S’inspirer de l’époque de Michelet quand il a fallu donner envie aux enfants de paysans et des mines de s’asseoir sur des bancs ? C’est-à-dire concevoir une école compétitive vis-à-vis des distractions extérieures et des nouveaux modes de consommation culturelle, une école d’émancipation, une école du pouvoir d’être et de faire plus qu’une école d’obligation, une école qui répond aux angoisses plus qu’elle n’en crée. Allez discuter avec les lycéens et leurs parents, et vous verrez combien le nouveau système Parcoursup est une catastrophe pour leur santé mentale. Ensuite, il faut des moyens, et augmenter, beaucoup, les salaires des enseignants. Ils ont besoin de respect, ils représentent l’Etat, et si vous désirez revaloriser la «marque Etat», qui aux yeux de beaucoup ne vaut plus un clou, donnez de l’air à ses éminents représentants. Et ne nous cachons pas derrière le manque d’argent, votre collègue monsieur Le Maire et le patron ont bien trouvé les milliards pendant la pandémie pour sauver les entreprises. Ici, il s’agit de sauver l’avenir de notre jeunesse, c’est elle qui sauvera la France, participera à sauver la planète et paiera les retraites de votre électorat. J’espère que vous nous entendrez, et que vous serez à la hauteur de vos ambitions, c’est-à-dire un vrai Premier ministre, non pas un paratonnerre. Il serait peut-être utile d’arrêter les annonces tous azimuts sinon votre Grenelle de la jeunesse va se transformer en grenelle de la connerie. Ce serait peut-être une bonne idée, d’ailleurs, les dire toutes, une bonne fois, afin de passer à autre chose. Citoyennement vôtre.