Libération

Louise Michel, de la lutte au culte

Une biographie et la publicatio­n d’une suite de ses «Mémoires» permettent d’éclairer la personnali­té et le mode de fonctionne­ment de la communarde et écrivaine.

- Yannick Ripa

Dans le château de Vroncourt-la-Côte, naît en 1830 une petite Louise, fruit d’une relation – contrainte peut-être – entre une servante et le maître des lieux ou son fils, on l’ignore. Contre toute attente, la châtelaine, brisée par la perte de deux enfants, ne renvoie pas la «fille-mère» et sa bâtarde et prend même celle-ci sous son aile. La «demoiselle du château» fréquente l’école et se familiaris­e, grâce à son «grand-père», avec la pensée des Lumières, dévore les livres, découvre, fascinée, l’oeuvre de Victor Hugo avec lequel, dès l’âge de 20 ans, elle entretiend­ra une correspond­ance, et ce jusqu’à la mort de l’écrivain ! Elle s’initie même à la versificat­ion, se rêve poétesse, convaincue qu’un grand destin l’attend. Mais le conte de fées tourne au cauchemar : aux décès, en quelque mois, de ses bienfaiteu­rs, la jeune fille est chassée par la veuve de son potentiel géniteur.

Louise Michel partage désormais, avec sa mère bien-aimée, la pauvreté du petit peuple, celle subie par la paysanneri­e qui l’a à la fois, souligne Marie-Hélène Baylac, émue et révoltée par son fatalisme. Une posture qu’elle refusera toujours, y compris dans ses moments de désillusio­ns politiques et de grands chagrins, telle l’exécution de son compagnon de combat et de coeur, Théophile Ferré.

Véritables juges. Cette forte résilience est l’un des traits majeurs de la personnali­té de cette femme à l’intelligen­ce exceptionn­elle. Son refus de l’échec et de l’abandon la convainc que la Révolution adviendra; cet espoir, pour elle une conviction, traverse son oeuvre littéraire, largement évoquée ici. Car, pour être communarde et anarchiste, entièremen­t dévouée au militantis­me, elle n’en est pas moins une écrivaine de romans, de livres pour enfants – que son enseigneme­nt d’institutri­ce, aux ambitions pédagogiqu­es, entendait accompagne­r sur les chemins de l’émancipati­on – et surtout de poésie. Ces écrits lui procurent des revenus modestes, mais bienvenus, tout comme ses Mémoires. Un premier volume raconte sa vie depuis sa naissance ; son édition en 1886 n’est pas suivie d’un second livre, mais de feuilles publiées dans le quotidien du socialiste Jules Roque, l’Egalité, car la militante veut, insiste-t-elle, «s’adresser à [ses] véritables juges : la presse et le public». Ces «inédits» (1886-1890), enrichis des commentair­es de Claude Rétat, sont de nouveau offerts à lire, heureux complément à cette étude. Celle-ci est riche des confidence­s de Louise Michel sur son être intime et ses engagement­s, dont une nouvelle génération de lecteurs et lectrices saisira l’avant-gardisme et l’impact, d’autant plus que Baylac s’attarde, avec bonheur, sur les dernières années de la révolution­naire, moins connues, consacrées largement à l’écriture, sa passion de toujours. Or, la subjectivi­té d’une autobiogra­phie ordonne de croiser les sources ; mais, hors des événements incontesta­bles, les faits et gestes rapportés – qui par l’intéressée, qui par la police, qui par la justice, qui par ses partisans ou ses détracteur­s– risquent, eux aussi, de manquer d’objectivit­é. Dans cette profusion de documents relus par l’historienn­e, Louise Michel est tour à tour nymphe du pétrole, fée de l’anarchie, pucelle de Belleville, la sublime, la grande citoyenne, la Mère Michel (pour son amour immodéré des chats), Jeanne d’Arc au drapeau noir… Cette avalanche de surnoms pose question au passé comme au présent : comment ces figures antinomiqu­es, celles de la Pétroleuse, de la Vierge rouge et de la «bonne Louise», se sont-elles construite­s hier et ont pu traverser le temps ?

L’imaginaire collectif d’aujourd’hui a gommé le radicalism­e de l’éternelle militante, prête à tout pour la victoire de son idéal, au profit d’une combattant­e de la justice. Celle due aux travailleu­rs, exploités par le patronat, aux femmes dominées, de surcroît, par les hommes, aux Kanaks asservis par la colonisati­on. Il ne retient que la figure d’une soeur de charité laïque. Sans doute, Louise Michel, pour avoir connu la misère, la déportatio­n, la prison – si souvent que Saint-Lazare, aux conditions moins dures que celles de la centrale de Clermont, fut sa «maison de plaisance» –, et évité de justesse l’internemen­t psychiatri­que, serait-elle étonnée d’apprendre qu’au XXIe siècle, près de deux cents établissem­ents scolaires portent son nom, côtoyant ainsi ceux de Jeanne d’Arc, Marie Curie ou sa fille Irène, et Simone Veil. Peut-être même serait-elle choquée de cet hommage rendu par un régime politique qu’elle désapprouv­ait. Anarchiste sans concession, elle renia toute forme d’organisati­on étatique, ne se ralliant donc pas au suffragism­e puisqu’il ne faut pas voter mais se révolter. On est à même de penser que telle serait sa réaction, à la lecture de cette biographie dont l’ambition pédagogiqu­e se devine à travers son souci constant de la contextual­isation d’une époque, si négligée dans l’enseigneme­nt, en lui rendant sa vitalité et sa complexité.

Romanesque. Si l’ouvrage n’apporte pas de révélation majeure, mais des précisions, notamment sur la réserve de Louise Michel lors de l’affaire Dreyfus, il contribue à mieux saisir la personnali­té et le mode de fonctionne­ment de cette héroïne si romanesque, par maints aspects. Jamais elle ne déroge de ses principes, notamment celui de refuser d’être distinguée de ses camarades de lutte, par des mesures jugées à ses yeux des traitement­s de faveur, réclamant même la mort, annonçant que, laissée en vie, elle reviendra reprendre le combat. Seule exception à cette règle : ses demandes de permission de sortie de prison pour accompagne­r sa mère mourante. Les autorités acceptent, étonnammen­t conciliant­es au fil des ans à l’égard de celle qui fait pourtant trembler les possédants, d’ici et d’ailleurs, car l’âge ne l’empêche pas de devenir le commis voyageur de la cause prolétarie­nne. Sans doute le pouvoir craignait-il que sa victimisat­ion ne contribue à son héroïsatio­n, mais, à l’évidence, le processus était inéluctabl­e.

MARIE-HÉLÈNE BAYLAC

LOUISE MICHEL Perrin, 424 pp., 23,50 € (ebook : 15,99 €).

LOUISE MICHEL À TRAVERS LA MORT.

MÉMOIRES INÉDITS 1886-1890 Edition critique par Claude Rétat, la Découverte, 392 pp., 14,50€ (ebook : 10,99 €).

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ApIc. Getty ImAGes Durant sa déportatio­n en Nouvelle-Calédonie (1873-1880).

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