Finances de la France, le rouge et l’histoire
Avec «Histoire économique de la France. De la Gaule à nos jours», ouvrage vivant et décapant, Charles Serfaty montre les constantes et les mutations économiques à travers les siècles.
L’histoire n’est-elle qu’un éternel recommencement ? La lecture de l’ouvrage que Charles Serfaty consacre à l’histoire économique de la France tend à le suggérer. Car les problèmes qui taraudent notre cher et vieux pays semblent présents depuis des temps immémoriaux. Ainsi des finances publiques, bien souvent dans le rouge, et ce depuis les premiers jours de la monarchie. Certes, les montants de la dépense publique sont aujourd’hui sans commune mesure avec ce qu’ils étaient au XIXe siècle : 50 % contre 1 %.
Champs et usines. Mais les dépenses inconsidérées dues à la guerre et à la
Cour ont bien souvent mis le pouvoir en péril. Ainsi du système de Law (17161720) ou des assignats de la Révolution qui confirment la difficulté à réformer le système fiscal.
Ces expériences amères suscitent en retour un attachement inconsidéré à l’étalon-or, qui explique tant la surévaluation du franc au temps de Raymond Poincaré que la tentative gaullienne de se détacher du dollar, en accroissant les réserves de la France en métal précieux. Autre fil rouge dont l’actualité a rappelé l’importance : l’attention que l’Etat a porté et porte toujours aux agriculteurs. Avec la vente des Biens nationaux, les paysans ont défendu la Révolution pour éviter qu’une restauration ne les prive de leurs terres. Le pouvoir va toujours ménager ce précieux soutien : ainsi, la IIIe République privilégie constamment les champs sur les usines, au point d’adopter, à la fin du XIXe siècle, un tarif douanier particulièrement protecteur. Emmanuel Macron n’a pas dérogé à la règle puisqu’il n’a pas hésité à sacrifier l’impératif écologique sur l’autel productiviste de la FNSEA.
Mais Charles Serfaty est trop subtil pour assimiler l’histoire à un éternel retour et il montre les mutations profondes qui ont marqué ce qui deviendra l’Hexagone. Avec la conquête romaine, la Gaule bascule ainsi de l’Atlantique à la Méditerranée, ce qui lui vaut une prospérité certaine grâce aux talents des artisans gaulois et à la stabilité qu’apporte la Pax Romana. Au Moyen Age, les défrichements, le moulin, la charrue et les foires entraînent de profondes mutations : l’économie se globalise, et le recours à la force motrice du vent ou de l’eau permet de se passer du servage (qui pour des raisons inverses se développe à l’est de l’Europe). A l’unisson, l’imprimerie engendre une véritable révolution sur le plan religieux (elle offre au croyant la possibilité de lire les Saintes Ecritures), politique (en ouvrant l’espace du débat), économique (en favorisant la codification et l’uniformisation du droit).
Idées fausses. Ces évolutions sont pour la plupart heureuses – encore que le niveau de vie du paysan moyen ne progresse guère entre le Moyen Age et la prise de la Bastille, mais ne doivent pas dissimuler les erreurs, parfois colossales, commises par nos gouvernants. La France ne se lance pas, par exemple, à la conquête de l’Amérique, préférant porter son regard sur l’Italie (ce qui nous vaut, belle consolation, l’arrivée des asperges et de Léonard de Vinci) ; le refus de dévaluer précipite le pays dans la crise des années 30 puisque le prix trop élevé des produits manufacturés les handicape à l’exportation ; de même, l’Etat échoue sous la Ve République à se doter d’une industrie informatique puissante (échec du plan Calcul) et se lance dans la folie du Concorde.
On l’aura compris, Serfaty nous offre un tableau particulièrement vivant et décapant de l’économie française. Chemin faisant, il tord le cou à quelques idées fausses : la droite conservatrice se montre keynésienne dans les années 20, mais c’est bien le socialiste François Mitterrand qui libéralise l’économie dans les années 80 ; les socialistes, pourtant réputés pour leur impécuniosité, ont moins flambé d’argent public que Valéry Giscard d’Estaing, pourtant considéré comme un expert des finances publiques. Si ces leçons sont à méditer, elles n’empruntent jamais le ton docte du donneur de leçon. Au contraire, l’humour constant dont témoigne l’auteur contribue largement à agrémenter un livre dont on aurait pu – bien à tort – redouter l’aridité.
CHARLES SERFATY Histoire économique De la France.
De la Gaule à nos jours Passés Composés, 522 pp.,
27 € (ebook : 17,99 €).
La France fait
parfois des erreurs. Elle ne se lance pas, par exemple, à la conquête de l’Amérique, préférant porter son regard sur l’Italie (ce qui nous vaut l’arrivée des asperges et de
De Vinci).