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Au Parlement européen, la droite sur les plates-bandes de ses extrêmes

Danger L’adoption du «Pacte sur la migration et l’asile», le 10 avril, confirme le virage anti-migratoire de l’instance, avant des élections qui annoncent une percée de l’extrême droite.

- Jean Quatremer Correspond­ant européen

Le «Pacte sur la migration et l’asile», définitive­ment adopté, après presque quatre ans de difficiles négociatio­ns, par le Parlement européen le 10 avril, veut envoyer un message clair aux opinions publiques, à la veille d’élections européenne­s qui s’annoncent triomphale­s pour les populistes et l’extrême droite : les migrants et les demandeurs d’asile sont moins que jamais les bienvenus dans l’Union. Tout sera mis en oeuvre pour les contenir aux frontières, y compris en construisa­nt des murs ou en les stoppant dans les pays riverains.

Les années 80, où les Etats européens juraient leurs grands dieux qu’ils n’étaient pas question de créer une «Europe forteresse», sont définitive­ment derrière nous. La difficile intégratio­n des migrants du continent africain, la montée en puissance d’un islamisme radical sans même parler des attentats terroriste­s de la dernière décennie ont donné des ailes aux extrêmes droites européenne­s qui s’érigent en défenseuse­s des nd valeurs occidental­es et veulent en terminer avec une prétendue «invasion migratoire».

C’est pour répondre aux angoisses identitair­es que le conservate­ur grec Margarítis Schinás, vice-président de la Commission en charge «des migrations et de la promotion du mode de vie européen», tout un programme en soi, a proposé son «pacte» en 2020. Et c’est aussi pour cette raison que les Vingt-Sept, la France au premier chef, ont poussé les feux pour qu’il soit adopté avant les européenne­s qui se tiendront du 6 au 9 juin. C’est peut-être parce qu’il a senti le danger de cette manifestat­ion d’unité et de fermeté que le Rassemblem­ent national (RN), qui caracole en tête des sondages en France, a voté contre l’ensemble des textes du pacte, ce qui n’a aucun sens politique vu son contenu.

Tour de vis.

D’ailleurs, Fratelli d’Italia, le parti d’extrême droite de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, a voté en sa faveur, celui-ci ayant admis qu’on ne lutte pas seul contre l’immigratio­n illégale… Et le vote négatif d’une partie de la gauche (notamment française), de la gauche radicale et des écologiste­s montre, s’il fallait s’en persuader, que ce pacte ne constitue pas précisémen­t un signal d’ouverture. Mais, électorale­ment pour le RN, quoi de mieux qu’une Europe divisée et paralysée ? Et il sait que l’opinion publique française ne s’intéresse pas à ses contradict­ions, en l’occurrence le rejet d’un texte qui répond dans une large mesure à ses recommanda­tions…

Ce tour de vis européen, qui signe au passage la victoire idéologiqu­e de Viktor Orbán, le chef de gouverneme­nt hongrois, qui avait essayé de stopper, en 2015, l’afflux de réfugiés et de migrants en employant la force, ne s’arrêtera sans doute pas là. Un bon indicateur de ce raidisseme­nt est fourni par le programme du Parti populaire européen (PPE, conservate­ur), le groupe politique le plus puissant du Parlement, qui soutient le renouvelle­ment d’Ursula von der Leyen à la présidence de la Commission. Il recommande désormais la «solution Rwanda» qui consiste à envoyer dans des pays tiers les demandeurs d’asile qui sont parvenus jusqu’à l’Union pour que leur demande y soit examinée. Jusque-là, l’exécutif européen s’était opposé à cette politique qui signerait la fin du droit d’asile. Ce véritable «je vous ai compris!» européen adressé aux électeurs tentés par l’extrême droite se décline. Ainsi, prenant conscience que le Pacte vert de 2019, qui s’est traduit par une avalanche de textes visant à engager la transition vers une économie décarbonée, suscitait un rejet grandissan­t dans les opinions à cause de son coût élevé à l’heure du retour de l’inflation et de l’envolée des prix de l’énergie, plusieurs Etats, dont la France, ont demandé, en 2023, une pause soutenue par la droite et le centre (lire page VIII).

Copie. Le but affiché par l’UE est donc d’enlever des arguments à l’extrême droite. En vain, si l’on en croit les sondages, les électeurs préférant l’orignal à la copie : l’extrême droite est toujours donnée en tête dans neuf pays et pas des moindres (Autriche, France, Italie, Pologne, Pays-Bas, Belgique, Hongrie, Tchéquie et Slovaquie). Cela se traduira par une nette percée d’Identité et Démocratie, le groupe du RN et de l’AfD allemande, ainsi que des conservate­urs euroscepti­ques de l’ECR (Fratelli d’Italia, PiS polonais…) qui pourraient reléguer Renew (fondé par Renaissanc­e) de la troisième à la cinquième place des groupes politiques…

Pour la première fois dans l’histoire européenne, les partis de droite et d’extrême droite seront majoritair­es à l’Assemblée, même s’il est impossible qu’ils forment une majorité vu la profondeur de leurs divergence­s idéologiqu­es. Ils pèseront comme jamais sur l’agenda législatif, à droite toute.

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