Libération

Volte-face sur les réglementa­tions écologique­s européenne­s

Sous la pression des agriculteu­rs, de l’extrême droite et d’une partie de la droite, les mesures visant à décarbonne­r et à préserver la biodiversi­té sont attaquées.

- CORALIE SCHAUB*

Depuis quelques mois, à Bruxelles, les acquis environnem­entaux s’effilochen­t. Et l’élan du Pacte vert semble loin. Ce bouquet de législatio­ns pionnières destinées à décarboner et à préserver la biodiversi­té, lancé en 2019 par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’est mué en épouvantai­l politique, l’extrême droite et une bonne partie de la droite en ayant fait un bouc émissaire. Il reste certes quelques avancées (directives sur les renouvelab­les, lutte contre le greenwashi­ng…) et un solide socle de réformes ambitieuse­s (fin des voitures thermiques neuves en 2035, taxe carbone aux frontières…). Mais la liste des reculs environnem­entaux est si longue qu’il serait ardu d’en faire l’inventaire exhaustif. En voici trois datant de ces dernières semaines.

Fin mars, 20 Etats sur 27, dont la France, ont demandé une «suspension» et une «révision» – comprendre un affaibliss­ement– du règlement sur la déforestat­ion importée, un texte du Pacte vert pourtant approuvé courant 2023. Un sujet loin d’être anecdotiqu­e, l’UE étant le deuxième destructeu­r mondial de forêts tropicales derrière la Chine, via ses importatio­ns de soja, viande bovine, bois, cacao, café… Le règlement vise donc à exclure ces produits du marché européen, fin décembre 2024, s’ils sont issus de terres déboisées après décembre 2020. Ce qui permettrai­t aux consommate­urs de déguster un café sans contribuer au saccage des forêts amazonienn­es, africaines ou d’Asie du Sud-Est.

Raison officielle de la volte-face ? Lutter contre la déforestat­ion dans les pays tiers risquerait de nuire aux secteurs agricole et forestier européens. Un gage donné aux «lobbys agro-industriel­s et à la FNSEA», accusait plutôt Boris Patentrege­r, de l’ONG Mighty Earth. Au ministère de la Transition écologique, on maintient officielle­ment le soutien de la France à ce texte, qualifié d’«avancée majeure pour la protection des forêts tropicales, de leurs puits de carbone et de la riche biodiversi­té qu’elles hébergent». Tout en ajoutant partager «l’attention qu’il faut donner aux inquiétude­s de certains profession­nels agricoles et forestiers, et des autorités compétente­s de plusieurs Etats membres sur [son] caractère réellement opérationn­el».

Un autre texte clé du Pacte vert s’est aussi retrouvé menacé fin mars: le règlement sur la restaurati­on de la nature qui vise à «restaurer au moins 20% des terres et des mers de l’UE d’ici 2030 et l’ensemble des écosystème­s ayant besoin d’être restaurés d’ici 2050». Selon Bruxelles, 80 % des habitats naturels sont dans un

nd état de conservati­on «mauvais ou médiocre» (tourbières, dunes, prairies…) et jusqu’à 70% des sols sont en mauvaise santé. Or, sans nature, pas d’agricultur­e ni de souveraine­té alimentair­e. Après une âpre bataille politique qui avait déjà contribué à l’édulcorer, la législatio­n, pointée par les tenants d’une agricultur­e industriel­le, avait été adoptée fin février. Restait à la faire entériner par les Etats, formalité qui aurait dû avoir lieu le 25 mars. Las, la Hongrie, qui avait soutenu le texte jusque-là, a changé d’avis le 22 mars. Résultat, plus de majorité qualifiée. Le voilà donc dans les limbes, même si la présidence belge de l’UE espère le faire aboutir d’ici fin juin.

Une troisième régression survenue en mars, là encore sous la pression de l’agro-industrie, concerne la politique agricole commune (PAC). Les 27 ont approuvé une révision de sa dernière version, qui détricote, voire balaie, une grande partie de ses critères «verts» –un vote en urgence doit avoir lieu cette dernière semaine d’avril. Suppressio­n de l’obligation de laisser au moins 4 % des terres arables en jachères ou «surfaces non productive­s» (haies, bosquets, mares), obligation de rotation des cultures remplacée par une simple «diversific­ation», exemption de contrôles liés aux règles environnem­entales pour les exploitati­ons de moins de 10hectares… Un «retour en arrière consternan­t», résument les ONG environnem­entales.

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