Les cartouches de Macron pour réarmer l’UE
Le Président a tenté jeudi de remettre l’Union au coeur de la campagne pour le scrutin du 9 juin. Il souhaite une «Europe puissante», avec une vraie politique industrielle, et des investissements financés par un nouvel emprunt commun, notamment pour la défense.
Emmanuel Macron, en prononçant un discours fleuve d’une heure cinquante, jeudi, dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, a voulu «ramener le sujet “Europe” au centre de la campagne des européennes», comme l’explique Jean-Louis Bourlanges, le président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, car «le pronostic vital de l’Europe est engagé». Déjà, en obligeant les concurrents directs de Valérie Hayer, la tête de liste Renaissance, à sortir du sous-bois national où ils se cantonnaient en exposant certaines de leurs propositions européennes, le chef de l’Etat a marqué un point.
Mais cela ne servira à rien si les Français ne le créditent pas, en juin, de son bilan européen, alors que les crises successives ont validé son appel de septembre 2017 à bâtir une «souveraineté européenne» afin d’assurer l’autonomie stratégique et économique de l’Union dans un monde de plus en plus incertain. Et ça n’est pas gagné : 57 % des Français, selon un sondage Elabe publié juste avant son discours, estiment que le Président n’a pas eu «d’influence réelle» sur l’Union depuis son élection… L’Europe de 2024 n’est pourtant plus celle de 2017. Même si de nombreuses réformes suggérées par le chef de l’Etat ont été adoptées pour faire face aux chocs du Covid, de la guerre en Ukraine ou encore de la crise énergétique, il reste du chemin à parcourir pour bâtir dans les dix ans «l’Europe puissance, prospère et humaniste» pour laquelle milite le chef de l’Etat. «Nous sommes à un moment de bascule et notre Europe est mortelle», a-t-il mis en garde avant d’encourager ses partenaires à «faire des choix maintenant, parce que c’est aujourd’hui que se joue la question de la paix et de la guerre sur notre continent et de notre capacité à assurer notre sécurité ou pas». Au rang des «grandes transformations», Macron a cité «celle de la transition digitale, celle de l’intelligence artificielle comme celle de l’environnement et de la décarbonation». «La question de savoir si l’Europe sera une puissance d’innovation, de recherche et de production se joue maintenant, a-t-il martelé. L’attaque contre les démocraties libérales […] se joue maintenant». Or, l’Union, selon Macron, n’est «pas armée face au risque qui est le nôtre».
«PRÉFÉRENCE EUROPÉENNE»
Dans ce même amphithéâtre où il avait décliné sa vision d’une «Europe souveraine» en 2017, Emmanuel Macron a donc décliné les solutions qu’il préconise pour résister au déclin qui menace selon lui le continent. Une «Europe puissance», c’est avant tout «une Europe qui se fait respecter et qui assure sa sécurité», ce qui passe par une accélération du réarmement en cours et la consolidation de la base industrielle de défense afin d’éviter d’aller se fournir à l’étranger. Le Président plaide même pour une «préférence européenne» dans les contrats d’achat d’armement. Il souhaite aussi un emprunt européen pour financer les investissements nécessaires et donc partager la charge de la défense commune. Conscient que l’Allemagne, en particulier et surtout, n’en veut pas, il a fait un geste à son égard en n’excluant plus de bâtir un «bouclier antimissile européen», une initiative que Berlin a déjà lancée avec une quinzaine d’Etats européens, mais dont la France ne voulait pas entendre parler jusqu’ici (lire ci-contre). «C’est une proposition très intéressante, car cela pourrait conduire à un rapprochement militaire avec Berlin pour qui ce bouclier est une question existentielle», estime Jean-Louis Bourlanges. Le Président a ensuite plaidé pour que le «conseil Schengen» devienne un «conseil de sécurité intérieure» destiné à lutter contre le terrorisme, le trafic de drogue ou la cybercriminalité et réclamé une application ferme du Pacte sur la migration et l’asile qui vient d’être adopté, y compris en accélérant le retour des irréguliers. Mais il a refusé la «solution Rwanda», c’est-à-dire l’externalisation du traitement des demandes d’asile dans des pays africains, prônée par la droite européenne et mise en place au Royaume-Uni, car ce serait créer une «géopolitique du cynisme». Sur le plan économique, le chef de l’Etat s’est voulu cataclysmique : «Le PIB par habitant a augmenté aux Etats-Unis de près de 60% entre 1993 et 2022. Celui de l’Europe a progressé de moins de 30 %. Ceci avant même que les Etats-Unis ne décident l’“Inflation Reduction Act” [la loi sur la réduction de l’inflation de 2022, ndlr], dont d’une politique massive d’attraction de nos industries et de subventions de toutes les industries et de technologies vertes.» Le problème est que la Chine et les
Etats-Unis ont «décidé de ne plus respecter les règles du commerce» ce que l’Union, elle, continue de faire : «Nous sommes décalés par rapport à la recomposition du monde», a-t-il affirmé. Pour rester prospère, l’Union ne peut donc le faire, selon lui, «avec les règles actuelles» : le chef de l’Etat vise les politiques de concurrence, commerciale, monétaire et budgétaire… «Nous réglementons trop, nous investissons trop peu et nous sommes trop ouverts et ne défendons pas assez nos intérêts», a-t-il clamé. Le «pacte de prospérité» qu’il appelle de ses voeux –et qui implique la mise en oeuvre du «Pacte vert» auquel il exclut de renoncer – passe par une politique industrielle destinée à ramener sur le sol européen les productions stratégiques (des semi-conducteurs aux médicaments en passant par l’intelligence artificielle ou l’informatique quantique, l’espace, les nouvelles énergies, etc.), la mise en place d’une «préférence européenne» (encore) dans ces secteurs, un durcissement de la politique commerciale afin d’imposer les mêmes règles aux produits importés (comme cela est prévu dans les accords de libre-échange de nouvelles générations), etc.
«UN DISCOURS TRÈS FRANÇAIS»
Reste le nerf de la guerre : l’argent. Il faut dégager, au niveau européen, entre 650 et 1 100 milliards d’euros par an de capacité d’investissement, ne serait-ce que pour financer la transition énergétique. Or, les budgets nationaux sont à l’os. Pour Emmanuel Macron il faudra donc en passer par un grand emprunt européen ou une augmentation du budget européen, mais aussi par un changement des règles gouvernant la Banque centrale européenne afin qu’elle intègre la croissance voire la «décarbonation» – et plus seulement l’inflation – dans sa politique monétaire. Si le chancelier allemand, Olaf
Scholz a vu de «bonnes impulsions» dans ce discours pour que «l’Europe reste forte», ces propositions risquent de heurter Berlin, où Emmanuel Macron doit se rendre, mi-mai, pour une visite d’Etat.
Le président de la République a terminé son discours par une défense des valeurs européennes, de la démocratie et de l’Etat de droit, lui permettant d’attaquer le Rassemblement national sans nommer Marine Le Pen ou Jordan Bardella. «Les nationalismes à travers l’Europe n’osent plus dire qu’ils vont sortir de l’euro et de l’Europe» c’est-à-dire «de sortir de l’immeuble ou de l’abattre», ils «proposent juste de ne plus avoir de règle de copropriété, de ne plus investir, de ne plus payer le loyer». Au final, «c’est un discours très français, ironise le politologue Olivier Costa, directeur de recherche au CNRS et au Cevipof. On a vraiment l’impression que pour Emmanuel Macron, l’Europe devrait être une France en grand.» De fait, le chef de l’Etat n’a pas beaucoup parlé de ses partenaires, son discours étant manifestement à usage interne. Il est aussi frappant qu’il se soit concentré sur les politiques de l’Union en oubliant deux dimensions essentielles, l’élargissement à venir qui va profondément transformer l’UE et la réforme institutionnelle. Or, sans institutions efficaces pour mouliner les politiques qu’il propose, rien ne se passera. On en a un exemple récent avec l’achat en commun de vaccins contre le Covid qui était censé être la première pierre d’une Europe de la santé. Mais faute de transfert de compétence, elle est restée dans les limbes. C’est la limite de l’engagement européen d’Emmanuel Macron : il veut une Europe gaullienne, c’est-à-dire intergouvernementale et surtout pas fédérale… Il reste persuadé qu’ainsi la France restera au centre du jeu alors qu’en réalité l’intergouvernemental a toujours favorisé l’Allemagne.