Expo /L’Imaginarium du docte Guy Brunet
Le LaM de Villeneuved’Ascq met à l’honneur un artiste aveyronnais de 79 ans à l’attirance incoercible pour l’image, cinéma comme télévision. Une oeuvre débridée proche de l’art naïf et brut.
Tour à tour producteur, metteur en scène, acteur, scénariste, ou maître de cérémonie (entre autres), Guy Brunet est une star. Quoique longtemps restée de lui seul connue. Une injustice, ou anomalie, que le LaM de Villeneuve-d’Ascq (Nord) veille à réparer, avec une exposition aussi effrénée que son titre, «le Cinéma de mon père», manque de peps. Validant de la sorte quelques initiatives sporadiques qui, entre le musée des Arts modestes de Sète, l’espace Antonin-Artaud de Rodez et le Festival du film d’art singulier de Nice, nous avaient déjà un peu mis au parfum, dès le début des années 2000.
Fleuron muséal de la métropole lilloise, le LaM possède un versant tourné vers l’art brut; arcanes en marge des codifications auxquelles le commissaire, Christophe Boulanger, rechigne toutefois d’arrimer son protégé: «Il s’agit d’une oeuvre qui ne rentre nulle part. Ni art brut ni art naïf, tout en étant proche de l’un et ressemblant à l’autre. Ce qui la définit, en vérité, c’est juste son obsession pour le cinéma. Un univers au centre duquel se place Guy Brunet, bien qu’il en soit totalement exclu.»
Xanadu. Synopsis : «Fabelmans» du terroir, c’est l’histoire d’un gamin qui naît et grandit dans un patelin de l’Aveyron. Une cité minière qu’il ne quittera jamais vraiment, tout en parvenant à s’en évader à tout jamais, à travers les films que son père, électricien et photographe, programme dans diverses salles de la région, avant de repiquer, une vingtaine d’années plus tard, dans l’électroménager. Trop tard, le virus a été contracté. Si la mère, caissière, et le frère, ouvreur, tournent la page, l’ado, lui, prend la tangente. Direction l’usine à rêves, dont les artisans deviendront des pairs, chimériques et intimes, envisagés aussi bien comme modèles insurpassables que simples partenaires défilant au générique insatiable d’un imaginaire polychrome.
Un temps employé dans la petite entreprise paternelle, puis ouvrier en usine, Guy Brunet saute définitivement le pas à la fin du XXe siècle. La période des premiers storyboards et scripts révolue, l’atelierstudio installé dans l’ancienne boucherie où il habite devient l’antre mirifique de sa kyrielle de fictions, détournées ou inventées. Un Xanadu de papier, de carton, de polystyrène et de bois, fragile au point qu’en décembre 2023 il fera l’objet d’une opération de sauvetage (conduite par le LaM, avec l’aide de bonnes
nd volontés locales), mais dont le nom claque pourtant : Paravision. Une société de production lunaire – mais dûment dotée d’un logo – destinée à héberger le pactole du «Kid» de Viviez, 12110: un ensemble d’affiches mêlant classiques revisités (les Dix Commandements, Cléopâtre, le Pont de la rivière Kwai…) et fantaisies (Un nigaud en vacance, Quand la danse est reine…). Son armée de terre cuite à lui, frôlant le millier d’effigies au format quasi identique (entre 1,30 m et 1,60 m), dont l’exposition présente une délégation où l’on croisera Jean Gabin, Louis de Funès, John Ford, Charlie Chaplin, Jack Warner, Marcel Pagnol, George Lucas, Kim Novak, ainsi que Léon Zitrone ou Frédéric Mitterrand.
«Guérisseur». Une attirance incoercible pour l’image – télévision comprise– qui s’anime aussi quand Guy Brunet concocte des bandesannonces, ainsi qu’une quinzaine de «films» tournés et montés, littéralement home made, dans lesquels il dirige ses silhouettes, qu’il fait parler en modulant sa voix –à l’exemple des Cathares, d’une durée de trois heures et sept minutes, que le LaM projette intégralement. Non loin de cette autre longue séquence, pas moins déconcertante, durant laquelle le démiurge invente, en plan fixe, une cérémonie de remise de prix du Festival de Cannes qu’il coprésente au côté de la silhouette de Claire Chazal – personnalité récurrente, qui semble bien faire l’objet d’une fixette de sa part – à qui il prête voix !
Aujourd’hui âgé de 79 ans et dans un état de santé fragile, Guy Brunet vit toujours à Viviez, seul avec son chat, dans un appartement où il a été relogé après avoir dû quitter sa maison délabrée. Il a juste vu des photos de la rétrospective du LaM, mais rien ne dit qu’il ne fera pas un jour le déplacement. Le dossier de presse retranscrit néanmoins plusieurs citations, datées de 2008 et 2015, dont voici un florilège : «Oui, je me sens un peu marginal, mais c’est cette part de folie qui me fait vivre, rester jeune et rêveur […]. Art brut, art singulier, art horsnorme. Cela m’est égal: je crée ce que j’imagine […]. Je suis un guérisseur, je soigne les spectateurs […]. L’artiste est dans la noblesse, je ne suis ni Jean Gabin ni Renoir, je ne sais pas quel mot employer pour moi… Peut-être vedette.» Adjugé ! «Guy Brunet. Le Cinéma de mon père» au LaM, Villeneuve-d’Ascq (59), jusqu’au 29 septembre.