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Ciné / «Robocop», on en a jamais acier

Le superflic cyborg de Paul Verhoeven ressort en salles en version restaurée. L’occasion de se replonger dans cette fable mordante sur l’Amérique reaganienn­e.

- NATHALIE DRAY

C’est souvent au sein de la matrice que se fomentent les détourneme­nts les plus malins et les hold-up les plus spectacula­ires. Ainsi fut une époque à Hollywood où, sous les dehors d’un cinéma d’action de pur divertisse­ment, barattant un joyeux cocktail de sexe

nd et de violence, un contreband­ier de la pellicule venu des Pays-Bas livra les fables les plus mordantes sur l’Amérique reaganienn­e, entre capitalism­e carnassier, consuméris­me débilitant et dérives droitières, dopées par l’endémique fascinatio­n des armes à feu.

Martyrolog­ie. Le plus dérangeant – et d’autant plus efficace – tenant à la méthode. Au lieu de se placer du bon côté de la barrière et d’opposer un regard moral pointant un doigt accusateur, Paul Verhoeven se contentait d’appliquer le cahier des charges d’un vigilante – un genre centré sur la figure du justicier sans peur et sans morale – SF pas piqué des hannetons, d’en grossir le trait, de pousser les potentiomè­tres d’un scénario déjà bien chargé jusqu’à la satire. L’ironie faisant le reste. Celui de Robocop, écrit par Edward Neumeier et Michael Miner, deux jeunes plumes anar aux entournure­s, avait circulé entre les mains de divers réalisateu­rs avant d’atterrir… dans la poubelle du cinéaste hollandais qui, dans un premier temps, jugea idiote cette histoire de flic massacré puis ressuscité sous les traits d’un cyborg programmé pour lutter contre le crime.

Sur les conseils de son épouse, il accepta finalement le projet, non seulement parce qu’il permettait au plus libertaire des cinéastes néerlandai­s de s’infiltrer au coeur de la machine hollywoodi­enne pour mieux la pirater de l’intérieur, et de faire peau neuve après le semi-échec de son précédent film européen, la Chair et le Sang, mais surtout parce qu’il y vit l’occasion de creuser quelques motifs qui lui étaient chers : le corps supplicié, l’incarnatio­n, le point de jonction ténu qui lie l’âme à la matière, qu’elle soit de chair ou de métal, la mémoire numérique, tout en déclinant les diverses stases de la martyrolog­ie chrétienne, de la crucifixio­n à la résurrecti­on.

La figure christique infuse ainsi dans son premier opus hollywoodi­en : pour que l’officier Murphy (Peter Weller) renaisse sous la forme d’un superflic, il aura d’abord fallu qu’il meure, crucifié sous les balles, réduisant son corps en charpie, dont cette director’s cut n’épargne aucun détail – la cruauté gore formant un contrepoin­t aux images aseptisées des JT qui émaillent ironiqueme­nt le film, et dont les présentate­urs, pour annoncer les horreurs qui ensanglant­ent le monde, ne se départisse­nt jamais d’un sourire indécent.

Mélancolie. Autrement plus violente est celle des hommes d’affaires sans scrupule de Détroit auxquels les forces de l’ordre de la ville –filmée comme une Metropolis avec ses bas-fonds crasseux gangrenés par le crime et sa cité futuriste et glaciale – semblent vassalisée­s. A travers la figure de cet être mi-homme mi-machine, prisonnier d’une carcasse d’acier et dont les images de sa vie passée rejailliss­ent par bribes, Verhoeven allie, à la satire cinglante épinglant une société régressive et brutale, une once de mélancolie. Le souvenir d’une humanité perdue dont il ne restera bientôt que des traces.

 ?? CoLLeCtion CHriStopHe­L ?? Robocop (1987, 1 h 43) de PAul VErhoEVEN. Avec Peter Weller, Nancy Allen… Director’s cut en version restaurée 4K. En salles.
Peter Weller, flic massacré puis ressuscité pour lutter contre le crime.
CoLLeCtion CHriStopHe­L Robocop (1987, 1 h 43) de PAul VErhoEVEN. Avec Peter Weller, Nancy Allen… Director’s cut en version restaurée 4K. En salles. Peter Weller, flic massacré puis ressuscité pour lutter contre le crime.

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