Libération

Gaël Faye, retour dans l’enfer rwandais «Petit Pays» en BD

- Par CharLine Guerton-DeLieuvin

Gaël Faye est «un pili-pili sur un croissant au beurre» (titre de son album paru en 2013). Comme Gabriel, son alter ego. Les deux, franco-rwandais, ont grandi dans la quiétude du Burundi avant de voir leur pays basculer dans une guerre civile. La violence de Petit Pays, roman récompensé en 2016 par le prix Goncourt des lycéens, est celle de la «peur dévorante qui transforme tout en méchanceté, en haine, en mort, en lave». La violence du génocide des Tutsis par les Hutus est vue à hauteur d’enfants avant de s’exposer brutalemen­t mais, non sans heurts, dans son adaptation en bande dessinée.

1 Que fait-on dans l’impasse ?

Le jeu, tel que le conçoivent Gaby, Armand et Gino, est dans la grimpe. Grimper sur la carcasse d’un Combi rouge Volkswagen échoué sur un terrain vague ou encore attraper des mangues avec une perche faite de bric et de broc dans leur impasse. Ils ont une dizaine d’années. «C’était le bonheur, la vie sans se l’expliquer. L’existence était telle qu’elle était, telle qu’elle avait toujours été et que je voulais qu’elle reste.» Mais l’innocence est un temps révolu, un linceul jeté dessus depuis le coup d’Etat contre Melchior Ndadaye en octobre 1993. «La peur s’abattait alors sur la ville. Les échoppes restaient closes, les écoles fermaient. Les vendeurs ambulants disparaiss­aient, on se barricadai­t chez soi.» La haine des Hutus s’abattait alors sur les Tutsis. «Tout cela paraissait irréel. L’impasse somnolait à son habitude. Rien n’avait changé. Et pourtant…», «ils ont tué l’espoir».

2 A quoi pense sa mère ?

Gaël Faye chante la douleur – celle de l’illusion perdue – dans A trop courir ; sa mère raconte celle du deuil dans cette bande dessinée. Elle vit dans les «contrées de cauchemars» où les cadavres de ses nièces et neveu peuplent ses nuits. Ces corps, retrouvés chez sa soeur à Kigali, lui «fil [ent] entre les doigts». «Ce n’est plus rien. Que de la pourriture» qu’elle vient reconstitu­er dans l’imaginaire de sa cadette. Gaby l’excuse : «Le génocide est une marée noire. Ceux qui ne s’y sont pas noyés sont mazoutés à vie.»

3 Combien de mousquetai­res ?

Il y a les livres, «des génies endormis». Gaby les découvre avec Madame Economopou­los, sa voisine, un après-midi où ses copains s’enfonçaien­t dans «leur délire de guerriers». Il lit le roman d’Alexandre Dumas, la nuit, éclairé par sa lampe torche. Et continue d’aller, chaque jour, chez elle pour «oublier les soucis du monde pendant ne serait-ce qu’un bref instant». Oublier que les mousquetai­res de sa famille ne sont plus quatre au Burundi depuis bien longtemps : «Maman était partie, disparue. Papa […] [a] passé des jours à sillonner la ville pour la retrouver, à appeler sa famille, ses amis, les hôpitaux, les commissari­ats, les morgues… En vain.» Ni même trois: Gino et Armand défendent l’impasse avec des grenades gardées dans le frigo. Pas son délire. Le trio de fantassins est un duo dans la version de Gaël Faye : Gaby et sa soeur. Et avec «la page arrachée par Madame Economopou­los» d’un livre de Jacques Roumain dans la poche, le jour de leur exil en France.

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 ?? ?? Gaël Faye et Marzena Sowa PeTIT PAyS Illustré par Sylvain Savoia
Dupuis, 128 pp., 26 €.
Gaël Faye et Marzena Sowa PeTIT PAyS Illustré par Sylvain Savoia Dupuis, 128 pp., 26 €.

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