Ecotable Label cuisine
Créée en 2019, l’entreprise propose aux établissements de restauration de mesurer leur impact environnemental grâce à un audit payant. Une façon pour les professionnels de faire certifier leurs efforts en matière de développement durable.
Du bistrot à la cantine scolaire, du resto universitaire au foodtruck, il existe 200 000 établissements en France qui servent à manger. Cela fait autant d’approvisionnement en fruits, légumes et protéines, mais aussi en gaz et en électricité et en gestion des déchets qui finissent par peser leur petit poids dans la balance environnementale. Pour ne donner qu’un exemple, selon l’Agence de la transition écologique, un établissement de restauration collective qui sert 500 personnes par jour jette, en moyenne, entre 15 et 20 tonnes (soit entre 30 000 à 40 000 euros) de nourriture par an.
Dans la restauration classique, en plus des déchets, beaucoup de chefs se désolent de ne cuisiner qu’un seul morceau à défaut de valoriser toutes les carcasses. Car on prépare (et vend) plus facilement un filet mignon que des abats… Ces décennies de pratiques gaspilleuses ont fini par se voir : aujourd’hui, seul un Français sur dix perçoit le secteur de la restauration comme engagé en matière de développement durable, et 31 % d’entre eux ne savent pas comment identifier les établissements qui optent pour des pratiques responsables (1).
Voilà autant de données qui ont motivé Fanny Giansetto et Camille Delamar, l’une maître de conférences en droit, l’autre ingénieure, à créer en 2019 Ecotable, un même nom pour deux entités : une entreprise sociale et solidaire, qui a audité, à ce jour, près de 250 tables sur leurs pratiques écologiques, et une association de 500 membres qui y adhèrent à prix libre et pour la vie. De nombreuses manifestations sont organisées toute l’année et dans plusieurs villes (surtout Paris et Marseille), comme des conférences, des petits-déjeuners ou des happenings culinaires avec, souvent, une importante dimension sociale, comme la distribution de plats cuisinés à destination de publics précaires. Pour les chefs, souvent isolés dans leurs cuisines le reste de l’année, ces rencontres sont l’occasion d’échanger sur des problématiques spécifiques aux restaurateurs et d’avoir accès à un annuaire de fournisseurs vertueux. Où trouver du sucre produit en France ? Comment faire face à un creux de trésorerie, à un recrutement défaillant, voire affronter un redressement judiciaire ? Toutes ces questions sont débattues entre restaurateurs, qui s’échangent conseils et bonnes adresses.
«Difficile de mettre plaisir et éthique sur le même plan »
Côté entreprise, «Ecotable est surtout connu pour son audit» commence Fanny Giansetto, attablée dans un café du XIe arrondissement, On Partage, évidemment labellisé. «On propose aux restaurateurs une mesure d’impact environnemental pour qu’ils voient concrètement ce qui est vertueux et ce qui cloche. Ils répondent à un questionnaire de 150 questions sur huit axes : l’approvisionnement (tous les achats dont la viande), le menu, l’effet sur la santé, l’énergie, la gestion des déchets, tout ce qui concerne le non-alimentaire comme les produits d’entretien, et un aspect social autour du bien-être des employés qui est déclaratif. Ils envoient tout ça sur une plateforme dématérialisée, mais si on a un doute, on vient sur place.» Prix de l’audit : 750 euros par an. En fonction de la note obtenue, les restaurateurs obtiennent entre zéro et trois macarons Ecotable ainsi que de nombreux conseils personnalisés et des fiches à consulter sur une plateforme qui leur est réservée.
La démarche rapporte-t-elle des clients? «Oui, certains nous trouvent via le site d’Ecotable et viennent spécifiquement pour ça, et d’autres non, répond Marion Stephan, gérante du café On Partage. Mais ça facilite la communication, ça nous permet d’expliquer plus simplement la démarche. Et de recruter
aussi.» Marion Stephan a choisi d’afficher fièrement ses deux macarons sur la porte vitrée de sa boutique, ses menus, et dans les toilettes.
D’autres restaurateurs, comme Bertrand Grébaut, chef de Septime et de Clamato (Paris XIe), qui a obtenu deux macarons Ecotable en 2023 et trois en 2024, choisissent la carte de la discrétion en n’affichant aucune distinction – ni Michelin (Septime a une étoile), ni logo du Fooding, ni plaques prestigieuses. «On a une certaine pudeur sur notre engagement, explique le chef, interviewé un midi sur un coin de table chez Clamato, juste avant le coup de feu. On part du principe que les gens viennent passer un moment de détente et de divertissement. C’est toujours difficile de mettre sur le même plan plaisir et éthique.»
La question du goût secondaire
Contrairement aux guides gastronomiques qui s’appuient sur des critères allant des cuissons aux découpes en passant par la technicité, le service et le décor, Ecotable ne garantit aucunement la réussite des plats proposés. Laurène Petit, autrice et journaliste culinaire (parfois pour Libé), longtemps bénévole chez Ecotable, s’en amuse presque: «Leur démarche est très différente du Fooding ou du Michelin. Le Fooding c’est du feeling, un choix assez subjectif. Mais il n’y a aucun critère environnemental pour ceux et celles qui testent les restos et les recommandent. La question de la viande n’est jamais posée au Fooding, par exemple.» Quant à l’étoile verte du Michelin, apparue en 2020, elle est attribuée à des restaurants qui figurent dans le guide et dont la démarche respecte une écoresponsabilité globale (fournisseurs locaux et bios, saisonnalité…) sans critères extrêmement précis. Michelin l’assume en toutes lettres sur son site : «Il n’y a donc pas de formule précise ni de critères fermés, car chaque restaurant présente des caractéristiques particulières.» Dans ce flou, Ecotable apparaît donc comme une grille stricte (et objective) pour mesurer l’engagement des restaurateurs. Au point que la question du goût devient secondaire, comme le dit Laurène Petit: «On peut avoir une table trois macarons Ecotable qui est très médiocre, mais honnêtement, ça ne m’est jamais arrivé! Parfois, Ecotable fait peur aussi. On nous rétorque le côté écologie punitive ou bouffeurs de graines.»
Avec son associé Théophile Pourriat, Bertrand Grébaut, justement, craint d’ennuyer sa clientèle avec un discours trop «engagé». «C’est sans doute plus facile d’être écolo quand on est un resto vegan, commence Théophile Pourriat. Mais quand on est un resto de poissons, comme Clamato, c’est très compliqué. D’autant plus que c’est subtil : si on travaille avec des petites productions, de la pêche artisanale par exemple, on peut avoir l’impression que c’est toujours vertueux alors que non. Il peut y avoir un problème de stock, comme pour l’anguille, ou de type de pêche. Le vrai enjeu, c’est de communiquer un message sans être moralisateur ou taper sur les doigts des clients qui sont là pour le plaisir.»
Bertrand Grébaut ajoute que le vrai défi repose beaucoup sur l’équipe en salle, qui doit réussir à faire passer le message «sans mettre de l’adversité, sans insinuer un plaisir coupable. Pour nous le débat est de convaincre les autres clients, ceux qui ne sont pas écolos. L’électorat de droite», ajoute-t-il en se marrant. Pour obtenir son troisième macaron, Bertrand Grébaut a dû retirer le tourteau de sa carte, pourtant best-seller, et le remplacer par l’araignée de mer. Un pis-aller plutôt délicieux, venu directement de la pêche artisanale d’Emmanuelle Marie, dans le Cotentin.
Joie, fête, légèreté et gourmandise
Et la méthode douce fonctionne. Chez Clamato, même si les macarons sont invisibles, une petite note chapeaute le menu qui annonce la couleur (politique) des lieux: «Les arrivages quotidiens de Saint-Jean-deLuz, Concarneau, l’Ile d’Yeu déterminent le menu du jour. Tous les produits sont issus d’une pêche artisanale et durable (ligne, bolinche, casiers). Nos huîtres sont sauvages ou issues de naissains naturels.» Ainsi, la joie, la fête, la légèreté mais aussi la gourmandise semblent alors avoir un impact plus important sur les clients que n’importe quel discours militant qui risquerait de gêner la digestion.
Cet esprit de fête se cultive aussi chez Ecotable où, lundi, s’est tenu le premier Palmarès des tables engagées à Ground Control Paris (XIIe). Les restos les plus vertueux de l’audit ont été récompensés à la manière des autres grandes distinctions. Quatorze restaurateurs, ayant reçu la plus haute note dans leur catégorie (meilleur sourcing de viande, poisson, approvisionnement bio, gestion des déchets) ont pu se voir remettre un trophée. Au moment de prendre le micro pour remettre le prix de la pêche durable à Bertrand Grébaut, Olivier Roellinger a rappelé, dans un discours émouvant, qu’il n’y avait pas de «plus beau métier et de plus grande responsabilité que de nourrir l’autre», et qu’il se sentait même envieux de la jeune génération, pour qui le défi environnemental est un moteur de créativité, de délices oubliés et de bon sens.