Immuno-dynamique
Yasmine Belkaid La scientifique à la renommée mondiale, vient d’être nommée directrice de l’Institut Pasteur.
1968 Naissance à Alger. 1995 Assassinat de son père en Algérie. 1996 Thèse de doctorat en biologie à l’Institut Pasteur. 1997-2023 Directrice de laboratoire au Niaid (National Institute of Allergy and Infections Diseases). Janvier 2024 Directrice de l’Institut Pasteur.
Pasteur… Encore et toujours ce majestueux institut, ce lieu de recherche hautement symbolique, typiquement français et de haute volée scientifique, mais un lieu aussi un peu péremptoire qui a montré au passage ses limites lors du Covid-19. Et voilà donc que ce lieu vient d’engager une directrice, franco-algérienne, Yasmine Belkaid. Et soyons honnête, nous avions quelques hésitations avant de la rencontrer tant les clichés pasteuriens sont tenaces. Or, disons-le tout net: la bonne surprise est de taille.
Commençons donc par le début. Yasmine Belkaid est discrète, peu connue, du moins du grand public. Ce jour-là, habillée de bleu pastel, elle nous répond d’une voix douce, mais parle vite, longtemps. «C’est une très, très grande scientifique avec une approche originale. Elle est rayonnante, brillante et dynamique», nous avait expliqué le très reconnu professeur Alain Fischer, président de l’Académie des sciences. «Toutes les universités américaines lui auraient fait un pont d’or. Et elle vient chez nous, c’est une vraie chance», ajoutait-il. Rien de moins… Et il n’était pas le seul. Ainsi, la figure emblématique de la recherche mondiale, Anthony Fauci, patron pendant dix-sept ans aux National Institutes of Health (NIH) aux
Etats-Unis, avait eu ces mots au Monde: «Nous sommes tristes parce que nous perdons l’une de nos scientifiques les plus appréciées, une superstar scientifique et un leader visionnaire.» Diantre… Incapables de juger de son talent de chercheuse, écoutons-la. Et là, comment ne pas être touché par son désir de vouloir redonner des couleurs à la science ? On la croit, et on la croit d’autant plus qu’elle reconnaît que la situation est mauvaise, avec un ciel au-dessus des paillasses bien sombres, chargé de nuages et de fake news. «La science n’est pas aimée, dit-elle avec force. Elle est même maltraitée, en France comme ailleurs, les chercheurs n’ont ni la place ni la reconnaissance de leur tâche.» Dans son bureau de l’Institut Pasteur, elle n’a rien changé, juste aperçoit-on dans un coin une vieille photo. «C’est ma grand-mère en Algérie, dans sa pharmacie, c’est elle qui m’a donné envie de comprendre.» Et elle ajoute aussitôt : «Mon autre grand-mère ne savait ni lire ni écrire, et elle m’a donné, elle, le goût d’apprendre.»
Il se passe quelque chose de déroutant dans les grands instituts de recherche en France. Ces dernières semaines, voilà en effet deux femmes, aux origines étrangères, nommées pour diriger des lieux de prestige. Cela n’est jamais arrivé. Deux femmes
que l’on est allé chercher aux Etats-Unis. Deux femmes qui sont proches. L’une est franco-syrienne, Bana Jabri, immunologiste, professeure à l’université de Chicago, qui va être la prochaine directrice de l’Institut Imagine, temple de la recherche génétique à Paris. Et l’autre, Yasmine Belkaid, franco-algérienne. «Peut-être que la recherche française veut s’ouvrir, et que l’on se rend compte de la compétition mondiale», dit Jabri. L’histoire de Yasmine Belkaid navigue ainsi entre trois pays. L’Algérie, d’abord. Elle est née dans une famille franco-algérienne, profondément marquée par la décolonisation. Son père est un exemple fort. Il quitte l’école à 13 ans, rejoint la guérilla, puis après l’indépendance, monte les échelons administratifs, devient haut fonctionnaire, puis ministre. Homme d’ouverture, courageux, il en paiera le prix par de fréquents séjours en prison. Deuxième patrie, la France. Sa mère est française. Professeure de lettres, elle débarque à Alger en 1962 «pour venir reconstruire le pays», raconte sa fille. «Chez nous l’engagement et les études sont essentiels.» Brillante, curieuse, se voyant chercheuse dès l’âge de 7 ans, Yasmine Belkaid poursuit ses études en biologie à l’université Houari-Boumediene d’Alger. «J’adorais mon pays. Mais la guerre est arrivée.» Déchiré par la lutte entre l’armée et les milices islamistes, le pays s’effondre. «Mon père nous a envoyés en France, avec ma mère, mon frère et ma soeur. Il nous pensait en danger.» Le 28 septembre 1995, en pleine décennie noire, c’est le drame absolu: son père est tué par balles en plein centre d’Alger. Yasmine a 27 ans. Elle se trouve alors à l’Institut Pasteur, où elle termine sa thèse d’immunologie. La France ne lui propose rien de bien intéressant alors que le prestigieux NIH lui tend les bras.
Et voilà son troisième pays d’adoption, les Etats-Unis, qui l’accueille. La jeune mère, alors divorcée, débarque à Bethesda (Maryland). Et va y rester près de vingt-cinq ans. «J’y ai été très heureuse. Faire de la recherche est mon bonheur.» Là-bas, elle s’impose. Son travail est salué par une flopée de prix. «Mon cerveau, avoue-t-elle simplement, est un cerveau de scientifique.» Lorsqu’on lui demande les découvertes dont elle est la plus fière, elle répond sans hésiter: «Peut-être d’avoir noté que les maladies infectieuses pouvaient avoir des conséquences à long terme. La recherche est une question de long terme. Nous sommes un écosystème dans un écosystème. La vie, ce sont tous ces liens. Il faut protéger tous ces éléments-là. La santé humaine n’est pas simplement ce qui se passe aujourd’hui, c’est tout ce qu’il s’est passé avant, comme dans le ventre de notre mère. C’est un continuum.» Mais pourquoi dès lors laisser de côté la recherche pour diriger Pasteur ? Réponse claire : «Les choses allaient bien, je bénéficiais d’une forte visibilité scientifique. C’était le moment de m’engager. Pas simplement de recevoir mais de me battre pour ce que je crois de fondamental.» Et à ses yeux, l’urgence est là : «Un monde sans science est un monde dangereux. On est là pour aider à résoudre les problèmes de nos sociétés.»
«Chez Yasmine, au-delà de ses qualités de chercheuse, ce qui me frappe, c’est sa chaleur. Et son souci du collectif», confirme son amie, Bana Jabri. Remariée avec un «data scientist» avec lequel elle a deux enfants (l’un chercheur, l’autre dans la photo), là voilà toute entière engagée dans ce nouveau combat. Tant pis pour le reste, elle n’a plus le temps de lire. «Ah si, je termine un livre sur les vaccins.» Elle vient quand même de voir le film Dune. «J’adore la science-fiction.» Cet été, elle ira en Algérie. «J’ai ma famille, ma mère, mes oncles et mes tantes, j’y suis très attachée même si actuellement le pays se referme.» Quand on lui demande pour qui elle vote, elle répond sans hésiter : «Je défends des valeurs de tolérance et d’égalité.» A nous d’en déduire son choix… Et que pense-t-elle de #MeToo ? «On appelle cela comme on veut, mais pour moi, c’est tolérance zéro.» Puis, encore une fois, ce credo : «On est dans un monde en transition, parfois dramatique, avec le changement climatique, l’émergence de nouveau pathogènes, de plus en plus de cancers chez les jeunes. La science est là, elle appartient à la collectivité, à la société. C’est un bien commun, et c’est un devoir d’agir.» Le portrait, en somme, d’une vraie pasteurienne, aurait pu nous dire Alain Fischer.