Devant le PNF, la parole est à la dépense
Arnaud Lagardère est entendu ce lundi par les magistrats financiers dans le cadre d’une information judiciaire ouverte en 2021 pour, entre autres, «abus de biens sociaux».
Le début d’une saga judiciaire ? Arnaud Lagardère a beau se dire plus épanoui que jamais, il s’est préparé depuis des mois, avec une légère fébrilité, à sa convocation au Parquet national financier (PNF), fixée à ce lundi. Au terme de ces deux jours d’interrogatoire, les juges pourraient le mettre en examen ou a minima le placer sous le statut de témoin assisté.
Tout est parti du fonds activiste Amber Capital qui, après être entré en 2016 au capital de Lagardère, a multiplié les offensives, dénoncé l’absence de publication des comptes des holdings personnelles d’Arnaud Lagardère, saisi la justice, déclenchant des alertes en cascade, de l’autorité des marchés financiers à la Haute Autorité de l’audit (H2A). Le PNF, en avril 2021, a ainsi ouvert une information judiciaire pour «abus de biens sociaux, présentation de comptes inexacts, diffusions d’informations fausses ou trompeuses et achat de votes».
«Système». Cinq mois plus tard, une perquisition avait lieu au siège, rue de Presbourg, dans le triangle d’or parisien. Au coeur de l’enquête, Lagardère Capital & Management (LCM), cette holding qui porte la participation de l’héritier et gère ses dépenses à titre théoriquement professionnel. Elle existait déjà du temps du père, qui s’agaçait qu’un comptable puisse tiquer sur les factures des grands couturiers de son épouse. «Mais enfin, disait-il. Elle fait rayonner la boîte.» Présumé innocent en l’état, Lagardère junior aurait vraisemblablement jonglé sans retenue avec les écritures comptables, passant au débit de LCM – sans les rembourser – tous ses frais, les salaires de son personnel (intendant, cuisinier, nounou, chauffeur, jardinier), les vols, souvent en jet, pour les vacances en famille, et même la pension alimentaire de sa première femme… Les sommes, susceptibles d’être assimilées à de l’abus de bien social, s’élèveraient à plusieurs dizaines de millions d’euros. Le fidèle Pierre Leroy, gérant de Lagardère Capital & Management , a fermé les yeux. «C’était le système», a-t-il soufflé aux enquêteurs, qui savent le prix du silence durant cinquantetrois ans, une rémunération qui a atteint en fin de carrière plus de 2 millions d’euros annuels. Les anciens commissaires aux comptes aussi ont tout validé, ce qui a valu à l’un d’eux, retraité du réputé cabinet Mazars, une radiation, qu’il conteste devant le Conseil d’Etat. Sollicité, ce dernier n’a pas souhaité répondre à nos questions.
Défense osée. «On a décelé un sérieux défaut de vigilance et d’esprit critique dans la présentation des comptes», cingle un membre de la H2A. Lagardère va plaider la bonne foi. Son nouvel avocat, Sébastien Schapira, également conseil du dirigeant déchu de Casino, Jean-Charles Naouri, pèse ses mots. «S’agissant de ces sociétés personnelles, et ayant toujours eu la volonté de rembourser les comptes courants débiteurs, Arnaud Lagardère a eu le sentiment de ne léser personne…» Défense osée, d’autant que certaines rentrées, assimilables à des revenus, n’ont pas été taxées comme tels. Lagardère vient d’ailleurs de signer un protocole avec Bercy pour dédommager l’administration fiscale, en espérant sans doute rendre les juges plus indulgents.