Libération

Opposants iraniens A Paris, «ensemble pour Toomaj Salehi et tous les autres»

Après la condamnati­on à mort du rappeur iranien, des centaines de personnes se sont réunies place de la Bastille dimanche pour demander sa libération.

- Par Kilian Bigogne Photo Cyril ZannettaCC­i

Place de la Bastille dimanche. Il est 15 heures. Les slogans «Libérez Toomaj», «Libérez tous les prisonnier­s politiques», «Halte aux exécutions» résonnent sous la première éclaircie de la journée, comme un symbole. Plus de 500 personnes sont réunies pour demander la libération de Toomaj Salehi, rappeur iranien condamné à mort quatre jours auparavant par le tribunal révolution­naire d’Ispahan pour «corruption sur Terre», principal chef d’accusation pour les opposants au régime. L’annonce de la condamnati­on de cette grande figure du mouvement «Femme, vie, liberté», qui a vu le jour quelques jours après la mort de Mahsa Amini, le 16 septembre 2022, a suscité une vive réaction, et beaucoup de colère.

«Une éTape charnière»

En quelques heures, une vingtaine d’associatio­ns et organisati­ons non gouverneme­ntales se sont unifiées en France autour de ce combat et ont appelé au rassemblem­ent. «On est ensemble contre la peine de mort, pour demander la libération de Toomaj et de tous les autres», confie Mona Armande, membre de l’associatio­n Iran Justice, heureuse de voir que l’appel touche tout le monde. Femmes, hommes, enfants, d’origine iranienne ou non, toutes les génération­s brandissen­t des pancartes avec les photos des opposants au régime islamique qui ont été arrêtés ou tués ces dernières années. Les paroles contées par l’artiste de 33 ans, Toomaj Salehi, sont reprises par toutes les personnes présentes pour scander sa libération. Pour Mona Armande, c’est «une étape charnière» dans le mouvement d’opposition au régime des mollahs. «On veut rappeler au monde entier, et au régime, que le mouvement ne s’est pas arrêté et qu’il continue», explique Chirinne Ardakani, avocate de la famille de Narges Mohammadi, prisonnièr­e politique et Prix Nobel de la paix en 2023. A la question de savoir pourquoi la population iranienne fait face à un renforceme­nt de la répression, elle répond : «En réalité, le régime iranien est engagé dans une triple guerre, celle contre les femmes, contre les jeunes, qui payent le plus lourd tribut, mais aussi sur la scène internatio­nale, où l’Iran sème le chaos. Après, il ne faut pas être dupe, la principale préoccupat­ion du régime, c’est de maintenir sa politique par la répression, et c’est la raison pour laquelle il multiplie les arrestatio­ns et les condamnati­ons à mort [853 personnes ont été exécutées en 2023 selon Amnesty Internatio­nal, ndlr].»

«ToUT le monde saUf

l’exTrême droiTe»

«Toomaj est différent des autres, ce n’est pas juste un chanteur, mais un militant pour la liberté.»

Pour l’occasion, les organisate­urs ont même essayé de faire appel à d’autres rappeurs et artistes-compositeu­rs. «Nous avons sollicité tout le monde, même la classe politique, sauf l’extrême droite qui est ambiguë sur la question de la peine de mort, alors que nous, ici, c’est un rassemblem­ent qui condamne sans ambiguïté cet acte et les châtiments inhumains», fustige l’avocate. Yannick Jadot, des Ecologiste­s, ou François Béchiau, adjoint au maire du XIXe arrondisse­ment de Paris, étaient présents. Parmi toutes ces personnali­tés et militants, quatre Iraniens se distinguen­t de la foule. Forough, Nazila, Mohammad et Mohsen, deux hommes, deux femmes, qui ont récemment fui la République islamique d’Iran, non pas par envie, mais pour survivre. Tous ont participé à leur échelle au mouvement de contestati­on. Ils se sont chacun leur tour exprimé sur la scène spécialeme­nt installée pour l’après-midi, et ont scandé leur soutien à Toomaj Salehi, et à tous les opposants qui se battent au quotidien pour leur liberté.

Quelques minutes avant de parler dans un bon français, appris en seulement six mois, Mohsen Sohrabi tente de garder le sourire et l’espoir après avoir tout quitté et tracé une croix sur sa vie d’avant. «A la suite

de mon interventi­on aujourd’hui, ma famille risque d’être convoquée et d’avoir des problèmes en Iran par ma faute.» Mohsen est conscient des risques, mais il est prêt à les prendre pour la liberté de son peuple. Ce combat, le Kurde de 29 ans l’a entamé il y a deux ans, lorsque le mouvement «Femme, vie, liberté» a éclaté. Médecin généralist­e en Iran, il a décidé avec des amis de cofonder le collectif Volunteers Doctors of Kurdistan. «On soignait

Mohsen Sohrabi manifestan­t

des gens blessés dans des lieux cachés pour éviter qu’ils se fassent arrêter par la police des moeurs, raconte-t-il. En plus d’être kurde, j’ai participé au mouvement. Après avoir été convoqué une troisième fois par la police en quelques mois, j’ai eu peur d’être arrêté. J’ai donc décidé de quitter mes proches, ma vie d’avant, mes études.»

Pour le réfugié, arrivé en juin 2023, et qui a pu reprendre ses études de médecine en France, Toomaj Salehi est «un héros». «Toomaj est différent des autres, ce n’est pas juste un chanteur, mais un militant pour la liberté, lance-t-il avec émotion. Il me donne de l’espoir.» Pour Mona Jafarian, cofondatri­ce du collectif Femme Azadi («liberté» en persan), c’est plus que de l’espoir, selon elle, «la fin du régime est proche».

De l’autre côté de la place, Maryam et Nicky Massrouri, deux soeurs âgées de 41 ans et 30 ans, qui ne connaissen­t l’Iran que par les souvenirs de leurs parents, réfugiés politiques, croient elles aussi en la fin du régime et de la dictature des mollahs. «J’ai toujours dit que toucher à Toomaj, c’est franchir la ligne rouge», confie Nicky, drapeau iranien sur le dos, et «Free Toomaj» inscrit sur la joue. Pour Maryam, la condamnati­on à mort du symbole de la liberté iranienne est une preuve que «le régime a peur et qu’il sent que c’est la fin». Très émues, les deux soeurs, qui tentent elles aussi de combattre le régime à leur échelle, espèrent un jour aller vivre dans le pays qui a vu naître leurs ancêtres. A la question de savoir quelles sont les paroles de Toomaj Salehi qui les ont plus marquées, elles choisissen­t celles-ci, traduites approximat­ivement, mais dont le message montre le poids des mots de l’artiste : «Les gens qui veulent la liberté donnent de leur vie.»

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Dimanche place de la Bastille à Paris.
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Lors de la manifestat­ion de soutien à Toomaj Salehi, dimanche.
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