Libération

Deux ans et demi de persécutio­ns

Arrêté une première fois en septembre 2021, Toomaj Salehi est entre autres accusé «d’incitation à la sédition» pour sa participat­ion à la révolte «Femme, vie, liberté» provoquée par la mort de la jeune Kurde Mahsa Amini, en septembre 2022.

- Accuse l’ONG. Luc Mathieu

La dernière fois qu’il a été libéré, le 18 novembre 2023, Toomaj Salehi avait publié une photo de lui sur son compte Instagram, bouquet de roses blanches à la main. «Je pensais que la situation la plus triste pour une personne était d’être seule sous la torture, maintenant je comprends qu’être seul à être libéré tandis que les autres sont toujours en prison, est encore plus amer», disait-il. Douze jours plus tard, il était à nouveau arrêté. Mercredi, son avocat a annoncé que le rappeur avait été condamné à mort par le tribunal révolution­naire d’Ispahan pour «corruption sur Terre», un chef d’accusation courant pour les opposants au régime.

Toomaj Salehi, 33 ans, est l’un des plus connus d’entre eux. Dans ses chansons, il critique ouvertemen­t les mollahs au pouvoir, la dictature, la corruption, le travail des enfants. «Nous nous lèverons jusqu’en haut de la pyramide. Nous vous ridiculise­rons. Attendez de voir», dit l’une de ses chansons. «Ici, les gens sont seulement vivants. Ils n’ont pas de vie. Nos enfants s’endorment en ayant faim. Pardon, mais comment votre conscience vous laisse-t-elle dormir ?» dit une autre.

«Un lieu horrible».

Sa popularité, y compris sur les réseaux sociaux où il s’exprime sans équivoque, pousse le régime à l’arrêter une première fois le 12 septembre 2021, sous l’accusation de «diffusion de propagande contre l’Etat». Libéré sous caution, il sera condamné

à six mois de prison et à une amende. Un an plus tard, une jeune Kurde, Mahsa Amini, est arrêtée et battue par des policiers pour un voile mal porté. Sa mort, trois jours plus tard, déclenche la révolte «Femme, vie, liberté», un slogan kurde repris par la jeunesse iranienne qui organise manifestat­ions et rassemblem­ents. Toomaj Salehi est au coeur du mouvement, malgré la répression féroce des forces du régime. Le 28 octobre 2022, dans une interview à la chaîne canadienne CBC, il décrit les méthodes des forces de sécurité et s’en prend à nouveau aux dirigeants de son pays. «Nous vivons dans un lieu horrible. Nous avons affaire à une mafia prête à tuer la nation tout entière pour garder le pouvoir, l’argent et les armes.» Deux jours plus tard, il est à nouveau arrêté.

Sa détention, contrairem­ent à la première, s’étire. Emprisonné à Ispahan, il est torturé et entame une grève de la faim. En juillet, il est condamné à six ans et trois mois de prison, et interdit de pratiquer sa musique. Les appels à le libérer d’artistes iraniens en exil et d’ONG, comme Amnesty Internatio­nal et PEN America, se multiplien­t. Le régime fera semblant de les entendre, le laissant sortir le 18 novembre avant de le réincarcér­er.

«Emprise».

En janvier, le rappeur se joint à une nouvelle grève de la faim, entamée par Narges Mohammadi, détenue à la prison d’Evin, à Téhéran, et prix Nobel de la paix 2023. Le mouvement est suivi par des dizaines de militants emprisonné­s pour protester contre les exécutions, toujours plus nombreuses. Amnesty Internatio­nal en a dénombré au moins 853 en 2023, en augmentati­on de 48 % par rapport à 2022. «Les autorités iraniennes ont renforcé la peine capitale dans le but de répandre la peur au sein de la population et de resserrer leur emprise sur le pouvoir, à la suite du soulèvemen­t Femme, vie, liberté»,

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Photo instagram @toomajoffi­cial Toomaj Salehi, 33 ans.

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