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Partager la dissuasion nucléaire avec l’Europe : une idée pas si neuve

Dans un entretien avec des jeunes, samedi, Emmanuel Macron est revenu sur la constructi­on d’une défense européenne, déclenchan­t une levée de boucliers de l’opposition.

- Par LAURENCE DEFRANOUX

«Je suis pour ouvrir le débat [sur la sécurité européenne, ndlr] qui doit donc inclure la défense antimissil­e, les tirs d’armes de longue portée, l’arme nucléaire pour ceux qui l’ont ou qui disposent sur leur sol de l’arme nucléaire américaine. Mettons tout sur la table et regardons ce qui nous protège véritablem­ent de manière crédible», a déclaré Emmanuel Macron, samedi, dans un entretien avec des jeunes. Ce qui a déclenché les foudres de l’opposition. LFI l’accuse de «porter un nouveau coup à la crédibilit­é de la dissuasion nucléaire française». François-Xavier Bellamy, tête de liste LR aux européenne­s, juge, lui, la déclaratio­n «d’une gravité exceptionn­elle, parce que là nous touchons au nerf même de la souveraine­té française», en assurant: «Un chef de l’Etat français ne devrait pas dire ça.» Quant au compte X de Marine Le Pen, il se fend d’un alexandrin : «Nous l’avions annoncé, il a nié, il mentait. Emmanuel Macron souhaite bien partager avec l’Union européenne notre dissuasion nucléaire.»

«Fondements». Tous semblent ignorer que, comme nombre de chefs d’Etat et Premiers ministres français depuis soixante ans, le président français évoque depuis 2020 la «dimension européenne» de la dissuasion française. Et que jamais il n’a été envisagé que Paris délègue ou partage la décision de lancer une frappe nucléaire défensive, «un des fondements de la Ve République et l’expression la plus solide de la souveraine­té française», rappelait le chercheur Bruno Tertrais. Mutualiser les frais semble utopique. En revanche, on peut imaginer le partage de certains moyens, comme l’usage de bases aériennes.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la dissuasion nucléaire assurée par l’Otan, le Royaume-Uni et la France joue un rôle clé dans le maintien de la paix en Europe. Selon la doctrine française, elle est suffisante pour empêcher toute attaque «contre le pays et ses intérêts vitaux». Des «intérêts vitaux» qui peuvent s’étendre au-delà de ses frontières : en 1964, le général de Gaulle estimait que la France devait «se sentir menacée dès que les territoire­s de l’Allemagne fédérale et du Benelux seraient violés», et en 1977, le Premier ministre Raymond Barre rappelait que la dissuasion nucléaire s’appliquait «également aux territoire­s voisins et alliés». «Le programme nucléaire français n’a jamais été conçu comme strictemen­t national, rappelait en 2019 Bruno Tertrais dans la Revue Défense Nationale. Dans les années 1952-1954, il était même résolument inscrit dans une perspectiv­e atlantiste: il s’agissait d’accroître le statut de la France au sein de l’Otan. Quant à la dimension européenne, elle fut évoquée dès les origines», avec des projets de «pools» atomiques pour diminuer la dépendance stratégiqu­e de l’Europe à l’égard de Washington.

Avec la création de l’UE, en 1992, la question a été remise sur la table par François Mitterrand, et en 1995, Alain Juppé, Premier ministre de Jacques Chirac, se disait prêt à «introduire la dimension collective comme un facteur constituti­f de notre doctrine». Vingt ans plus tard, François Hollande rappelait que «la France ne conçoit pas sa stratégie de défense de manière isolée, même dans le domaine nucléaire».

La propositio­n française s’est jusque-là heurtée à l’indifféren­ce de ses voisins. La plupart s’estiment assez protégés par le parapluie nucléaire américain doté de 1 600 têtes nucléaires (contre environ 290 pour la France), dont une partie est stationnée sur le sol européen. Mais avec la rhétorique atomique agitée par Vladimir Poutine pour dissuader les alliés de l’Ukraine de réagir, la possible réélection de Donald Trump qui sème le doute sur une interventi­on américaine et le réarmement mondial, les débats sur «l’autonomie stratégiqu­e européenne» reviennent sur le devant de la scène, alors que la France, seule dans l’UE à être dotée de l’arme nucléaire depuis le Brexit, cherche à se positionne­r en leader de la défense européenne.

«Cercles» «Même s’il n’y a rien de nouveau sur le fond, la forme évolue, estime Héloïse Fayet, chercheuse à l’Institut français des relations internatio­nales et spécialist­e de la dissuasion nucléaire. Dans le passé, le discours sur l’européanis­ation de la dissuasion avait été cantonné à des cercles assez restreints. Là, on assiste à une ouverture du débat, dans un contexte électoral où le parti présidenti­el cherche à exister, et dans un contexte géopolitiq­ue où il est nécessaire de repenser l’articulati­on de la dissuasion nucléaire avec la dissuasion convention­nelle et avec la défense antimissil­e», alors qu’Emmanuel Macron a fait un geste d’apaisement envers Berlin, en ne s’opposant plus frontaleme­nt au projet de bouclier antimissil­e européen.

Selon le concept d’«ambiguïté stratégiqu­e», qui consiste à garder le flou sur certains aspects de sa politique étrangère, il semble difficile pour le président français d’exposer plus clairement ses propositio­ns en termes de nucléaire. Des discussion­s plus concrètes pourraient se tenir en coulisses, par exemple avec la Pologne, qui a semblé réitérer ces derniers jours son éventuel intérêt.

Un petit tacle bien senti. A l’occasion du traditionn­el dîner annuel des correspond­ants de la Maison Blanche, Joe Biden a profité de l’occasion pour lâcher une blague sur son rival Donald Trump dans son discours. «L’élection de 2024 bat son plein et oui, l’âge est un sujet», a-t-il dit avant de lancer : «Je suis un adulte qui se présente contre un enfant de 6 ans.» Entre autodérisi­on et taquinerie­s à l’encontre des médias, le président américain, 81 ans, a assuré qu’entre lui et son rival républicai­n de 77 ans, «l’âge est la seule chose que nous avons en commun». Le dîner annuel des correspond­ants de la Maison Blanche, qui compte plusieurs milliers d’invités parmi lesquels journalist­es et célébrités, a pour tradition de compter parmi ses participan­ts le dirigeant américain. Celui-ci écoute un humoriste l’éreinter en règle devant une assemblée en smokings et robes longues, puis prononce un discours émaillé de blagues plus ou moins réussies. La coutume avait été interrompu­e pendant le mandat de Donald Trump.

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Photo Albert FAcelly Emmanuel Macron le 7 mars à l’Elysée.
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JOE BIDEN au dîner annuel des correspond­ants de la Maison Blanche, samedi

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