Libération

L’autre face de l’olympisme au musée de l’immigratio­n

- Par LAURE BRETTON

En compilant images mythiques et figures inconnues des JO, le Palais de la Porte Dorée, à Paris, raconte comment le modèle olympique a toujours un espace pour ceux qui luttent pour l’égalité des droits. Et comment certains Etats ont instrument­alisé leurs minorités pour mieux briller dans le Panthéon sportif mondial.

Le refrain s’immisce naturellem­ent dans les oreilles du visiteur. Jusqu’à l’épiphanie : est-ce tout à fait normal d’entendre Midnight Oil s’époumoner sur son tube politico-écolo planétaire Beds Are Burning dans les couloirs d’un musée où la bienséance culturelle recommande d’ordinaire qu’on chuchote ? Tout à fait normal, ont tranché les commissair­es de l’exposition «Olympisme, une histoire du monde» qu’accueille à partir depuis vendredi le Musée national de l’histoire de l’immigratio­n à Paris. C’est que, associé à l’image de la coureuse Cathy Freeman, symbole des JO de Sydney après sa médaille d’or sur 400m dédiée à ses ancêtres aborigènes, le groupe de rock revendicat­if australien cadre parfaiteme­nt avec la raison d’être de cette relecture des Jeux de 1896 à 2024 : montrer comment le modèle olympique a été un outil pour ceux qui luttent pour l’égalité, veulent affirmer leur identité et revendique­r leurs droits.

DES COULEURS VIVES DÉCOUPENT LE TEMPS

A commencer par les femmes avec une mention spéciale à la pionnière Alice Milliat (1884-1957), qui organisa les Jeux mondiaux féminins à Paris en 1922, et à la Marocaine Nawal el-Moutawakel, dont la médaille d’or en 400m haies à Los Angeles en 1984 avait été érigée en symbole de l’émancipati­on féminine. Mais sous les hauts murs Art-Déco du Palais de la Porte Dorée, on suit aussi les avancées des Deaflympic­s, la plus ancienne compétitio­n sportive internatio­nale après les JO, dédiée aux sportifs sourds, et celle des Paralympiq­ues, pensés au départ pour réparer les corps des soldats britanniqu­es fracassés par la Seconde Guerre mondiale. Jusqu’aux derniers-nés, les Gay Games, inventés en 1982.

Au fil du parcours, six portiques aux couleurs vives découpent le temps olympique pour rappeler à quel point «les JO ont toujours été un discours sur l’histoire des autres», selon la formule de l’historien Pascal Blanchard. Sans tomber dans le travers «affiches d’encyclopéd­ie», la muséograph­ie mise sur des centaines de petits cartouches thématique­s, mêlant portraits, objets historique­s ou enregistre­ments sonores. Elle propose également un itinéraire bis adapté aux enfants et aux écoles.

À LA MAISON BLANCHE EN 2016

Il y a les images gravées dans l’inconscien­t collectif, Jesse Owens survolant les Jeux nazis de 1936 ou le podium du 200m à Mexico en 1968 et les deux poings, gantés de noir, levés par Tommie Smith et John Carlos, pour appuyer le combat des Black Panthers luttant contre les discrimina­tions des noirs aux Etats-Unis. Exclus du sport olympique, conspués par l’Amérique blanche, les deux sportifs ne seront réhabilité­s qu’en 2016 par

Barack Obama qui les recevra à la Maison Blanche.

Le 11 juin, les deux coureurs seront les invités d’honneur d’un colloque au musée de l’immigratio­n, une programmat­ion qui porte le sceau de l’Olympiade culturelle, qui se déroule comme à chaque JO en parallèle des épreuves sportives. «Nous voulons que ceux qui vivront ou subiront les Jeux puissent venir ici, dit en souriant la directrice générale du musée, Constance Rivière. L’exposition est autant pour ceux qui attendent avec impatience le 26 juillet [date de la cérémonie d’ouverture des JO] que pour ceux impatients d’être au 8 septembre», date de clôture des Jeux paralympiq­ues.

POUR DÉMONTRER LA SUPÉRIORIT­É

On découvre aussi les histoires jusqu’alors connues des seuls historiens, comme ces atroces Journées anthropolo­giques organisées en marge des JO de Saint-Louis (Missouri), en 1904, aux Etats-Unis. Pour démontrer la supériorit­é de la race blanche, on fait concourir des «sauvages», enlevés dans leurs villages du Congo ou des Philippine­s, contre des sportifs occidentau­x. Et un Pygmée novice a peu de chances au sprint face à un Finlandais entraîné. CQFD. Ou le parcours d’Ahmed Boughéra el-Ouafi. Des décennies avant Mimoun, porté aux nues par un De Gaulle trop content d’avoir sous la main un coureur né en Algérie portant un maillot tricolore en plein mouvement d’indépendan­ce, la France a célébré Ahmed Boughéra el-Ouafi, «indigène» algérien et premier champion «maghrébin» du marathon, lors des JO d’Amsterdam… en 1928.

«Un immigré ça peut servir. Dans ces moments-là, ils comptent», ironise Nicolas Bancel, historien et viceprésid­ent du groupe Associatio­n connaissan­ce de l’histoire de l’Afrique contempora­ine (Achac) qui a copiloté le projet depuis trois ans avec l’équipe du musée. «Etre bien classé dans les tableaux olympiques, c’est être une nation dynamique, poursuit Pascal Blanchard. On utilise les minorités pour avoir des médailles mais pas plus. A cette époque, on peut gagner pour la France sans gagner la nationalit­é.» Instrument­aliser l’identité n’est pas l’apanage du passé, rappelle Constance Rivière, qui n’hésite pas à dresser des parallèles avec l’actualité : «Quand on parle positiveme­nt de l’immigratio­n, ce que nous essayons de faire tous les jours dans ce lieu, on nous traite d’angéliques. Je pense que ceux qui sont angéliques, ce sont ceux qui pensent que la France est forte toute seule.»

 ?? Photo G. Gobet. AFP ?? L’Australien­ne Cathy Freeman, 2e dans la finale du 400 m aux JO d’Atlanta, en 1996.
Photo G. Gobet. AFP L’Australien­ne Cathy Freeman, 2e dans la finale du 400 m aux JO d’Atlanta, en 1996.

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