Libération

Rangement des jeunes, mode d’emploi

Les bons avec les bons, les nuls avec les nuls mais rangés, cadrés, groupés. Immersion à Nice au lycée du Parc impérial, avec le Premier ministre, accompagné de Dupond-Moretti. Un exercice de com, ruiné par la parole des jeunes.

- Par Dan iel SchneiDeRm­ann

S’agissant du problème jeune, on a finalement cerné le problème : il suffit de ranger le jeune quelque part. Où l’on voudra, mais rangé, comme une chambre, ou une chambrée. Les bons avec les bons, les nuls avec les nuls (ça s’appelle les «groupes de niveau»). Et le tangent, le vacillant, le potentiell­ement menaçant avec ses semblables. N’importe où, mais fermé. Pour son bien, naturellem­ent, on n’est plus à l’époque des bagnes d’enfants. Et avec son consenteme­nt, puisque l’heure est au consenteme­nt. Sinon, il harcèle sur les «zécrans», il incendie les médiathèqu­es, il se rebelle à l’autorité. Voilà pourquoi, ce jour-là, Gabriel Attal est à Nice, au lycée du Parc impérial, suivi par BFM (qui relate en live, sans porter de jugement) et Quotidien (qui ricane au fond de la classe). Suivi aussi par son garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti pour impression­ner les récalcitra­nts.

Le mettre en boîte avec son consenteme­nt, la chose semble contradict­oire, mais impossible n’est pas macronien. L’impossible se résout avec un petit en même temps. «Est-ce que vous êtes contents d’être là ?» demande Attal, affalé façon manspreadi­ng, à une brochette de punis en survêtemen­t assis autour de lui (on va les ranger en internat pendant les deux semaines de vacances de printemps). «Non.» (Rires.). Attal : «Ben, c’est rassurant. Si vous étiez trop contents d’être là, on se dirait c’est peut-être pas utile. Qui veut témoigner ?» A un maugréant : «Vas-y.» Tendons l’oreille. «Qui veut témoigner?» (consenteme­nt). «Vas-y !» (autorité). Tu veux témoigner, tu témoignes. Tu maugrées, tu témoignes. Le maugréant rechigne à s’emparer du micro. «Je dis que ma mère, elle m’a forcé, c’est tout.» «Et qu’est-ce qu’elle t’a donné comme argument pour te c… pour t’expliquer ?» «Elle m’a dit que j’allais partir en vacances.» Rires des adultes. Pas de commentair­e de BFM. Priorité à l’info. Les jeunes internés ne sont nullement des délinquant­s, mais en situation de décrochage scolaire ou d’absentéism­e. Ils «vont suivre des cours d’éducation civique, de sport, de cuisine», ou encore –c’est au programme du premier jour– «apprendre la Marseillai­se», précise Libé. «Tous sont volontaire­s au départ», assure le proviseur à la presse.

Deuxième témoin. Attal: «Toi, disnous.» Dupond-Moretti secoue l’épaule du témoin, manière je réveille mon ado couché à pas d’heure (consenteme­nt et autorité dans le même geste). Il lui fait signe de bien placer le micro près de la bouche (pédagogie). «Moi, je suis pas content du tout. Ma mère m’a obligé. Elle m’a forcé.» DupondMore­tti éclate de rire. Elle est bien bonne. La blague de l’ado consentant forcé, plus on la répète, meilleure elle est.

«Elle m’a dit que c’était bien, je vois que c’est pas bien.» Attal: «Ça a pas démarré. Ça démarre ce matin.» Parfaiteme­nt. Cet après-midi, Marseillai­se. Re-rire de DupondMore­tti. Attal (qui contemplai­t une photo de son chien à l’Assemblée pendant un débat sur les morts au travail) : «Quand ta mère te dit faut pas utiliser le téléphone, tu l’utilises quand même. Et ça te semble normal ? Tu vas voir, ici, il y aura une cure sans téléphone. Tu vas voir qu’on peut faire plein de choses.» Les «pleins de choses», DupondMore­tti en fait la liste. «Ces jeunes vont se lever tôt. Ils vont recevoir davantage de culture, de citoyennet­é, de valeurs de la République.» Dans son reportage, Libé a traduit : «Revue [des] chambre[s] après le lever, rassemblem­ent au rapport sous drapeau après le petit déjeuner, réveil sportif avant les activités, cours d’histoire, visite du camp des Milles [camp de détention et de concentrat­ion des années 30 et 40, ndlr], visite d’une expo sur Tintin, boxe. Et aussi ateliers sur les drogues, les écrans, les fake news, la citoyennet­é, l’estime de soi…»

Sur les réseaux sociaux (les fameux «zécrans») on ricane. Consensus général : les gamins ont saboté la séquence com du gouverneme­nt. Erreur. Elle n’est pas du tout ratée du point de vue du public visé : les vieux. Aux vieux, coeur de l’électorat Macron, ceux qui votent le plus et qui donc comptent le plus, ceux qu’il ne faut pas abandonner à Bardella, aux vieux donc, il faut montrer que les racailles en germe en bavent. Il s’agit d’exhiber des punis. C’est tout le sens de la séquence «autorité». C’est à destinatio­n des vieux que le maître du chow-chow Volta encadre les jeunes, les uniformise, les sanctionne dès la primaire (mais attention, sanctions adaptées au niveau primaire), supprime l’excuse de minorité, promet des cours d’empathie, des comparutio­ns immédiates et des couvre-feux, les range en tiroirs, les bons avec les bons, les nuls avec les nuls. •

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