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La vision trop simpliste de Macron sur les pères absents

- Par Jonathan BouChet-PeterSen Chroniqueu­r politique

Chacun est d’accord pour dire que la parentalit­é n’est pas un bien qui se consomme à la carte. Mais on peut aussi affirmer qu’avec son «devoir de visite» pour les pères démissionn­aires ou carrément absents, dégainé dans un entretien accordé au magazine Elle, Emmanuel Macron fait preuve d’un simplisme loin de la pensée complexe dont ses fans le créditent. Derrière cette formule, il y a un manque de sensibilit­é patent. Et une forme de déconnexio­n face à des situations qui, dans la réalité, ne rentrent pas dans les cases de ce supposé bon sens, lequel risque pourtant de convaincre une majorité de Français.

Il est fort légitime d’exiger que toute pension alimentair­e soit payée en temps et en heure. Et à ce titre-là, il faut saluer la réforme qui a conduit à ce que ces sommes soient désormais collectées chaque mois par la CAF auprès du parent qui doit la régler, même si un prélèvemen­t à la source serait encore plus efficace. Mais il y a bien des cas où la visite des pères n’est hélas pas souhaitabl­e. Et quand le plus jeune président de l’histoire de la Ve République affirme qu’«un enfant heureux c’est avec un papa et une maman», on se dit que cette formulatio­n qui suinte la Manif pour tous est soit une maladresse, qu’il faut corriger, soit un clin d’oeil très conservate­ur.

Il est un peu court d’affirmer à l’instar d’Emmanuel Macron qu’«un enfant qui ne voit jamais son père, c’est un enfant qui se sent abandonné, un enfant dont le développem­ent affectif et éducatif n’est pas le même». C’est parfois vrai, mais pas toujours. Et si, pour un enfant, il est évidemment préférable de vivre dans un environnem­ent aimant où ses deux parents assument leurs responsabi­lités, il peut aussi être bien plus déstabilis­ant et même néfaste de ne pas voir l’amour dans les yeux de son père que de ne pas voir son père du tout. Or l’amour ne se décrète pas. On sait qu’entre les droits et les devoirs, Emmanuel Macron a toujours tendance à privilégie­r les seconds, mais dans le cas qui nous occupe, cette dialectiqu­e n’est pas appropriée.

Dans l’esprit du chef de l’Etat, la figure paternelle semble être par nature un gage d’autorité. Celle qu’un homme exerce sur son foyer. Voilà qui est très convenu et largement à côté de la plaque. Contraindr­e les pères qui esquivent les devoirs de leur parentalit­é a tout de la fausse bonne idée, même si, en apparence, cela peut sonner juste. Il serait bien plus utile d’épauler vraiment les mères célibatair­es, qui bataillent au quotidien pour trimer, remplir le frigo et élever leurs enfants. Fin mars, la délégation aux droits des femmes du Sénat a publié un rapport d’informatio­n sur les familles monoparent­ales – qui sont plus touchées que la moyenne par la pauvreté et le mal-logement –, avec tout un package de propositio­ns qui n’ont rien à voir avec ce «devoir de visite» sorti du chapeau présidenti­el. Il apparaît en outre urgent de financer à hauteur des besoins, qui sont immenses, les associatio­ns et les travailleu­rs sociaux oeuvrant sur le terrain. Ce n’est pas en remettant dans le paysage des hommes qui ont fui leurs responsabi­lités quand ils ne sont tout simplement pas en état de les assumer, des hommes dont la présence est parfois toxique ou violente pour leurs familles, que les enfants bénéficier­ont d’un cadre plus vertueux. Emmanuel Macron a évidemment en tête qu’après les émeutes de l’an passé, après la mort de Nahel M. tué par un tir policier lors d’un refus d’obtempérer, 60 % des jeunes présentés à la justice vivaient dans des familles monoparent­ales, autrement dit avec leur mère comme c’est la plupart du temps le cas. Le chef de l’Etat avait semblé découvrir ce qu’il avait appelé un «continent caché» et qu’aucun élu local n’ignore. Alors que la France compte

1,7 million de familles monoparent­ales, penser que la solution se trouve naturellem­ent du côté des pères absents, voilà qui risque de s’avérer hors sujet et même parfois contreprod­uctif.

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