Au Soudan, la ville d’El-Fasher craint un assaut et une castrophe humanitaire
Personne ne sait plus combien d’habitants compte ElFasher. 500 000 ? 1 million ? 2 millions ? La capitale historique du sultanat du Darfour est assiégée par les troupes des Forces de soutien rapide (RSF) du général Hemetti. C’est la dernière ville de cette région occidentale du Soudan, vaste comme la France, à échapper au contrôle de ses paramilitaires. Mais l’étau de la guerre se resserre.
Encerclé.
Le 14 avril, les RSF se sont emparés de la ville de Mellit, à une soixantaine de kilomètres au nord d’El-Fasher. Une vingtaine de villages, à l’ouest, ont été
n d attaqués et incendiés le m ois dernier. Les hommes de Hemetti ont installé des checkpoints sur les principaux axes d’entrée et de sortie de la ville. «El-Fasher est entièrement encerclé. L’approvisionnement est devenu très compliqué, la nourriture n’entre plus : l’armée a procédé à des livraisons par les airs, mais si tu n’as pas de relations dans les sphères militaires, c’est un casse-tête pour trouver de quoi manger», raconte Musa Adam, 30 ans, joint par téléphone dans un camp de réfugiés au Tchad. Il y a dix jours, ce diplômé en mathématiques a fui la ville, à pied dans la nuit, avec une dizaine de proches. Le groupe a marché cinquante kilomètres, pour passer derrière les lignes des RSF, avant de monter dans un véhicule qui les a transportés jusqu’à la frontière.
Les RSF ont conquis une à une toutes les villes du Darfour, la région d’origine de Hemetti et de la grande majorité de ses combattants – héritiers des milices arabes jenjawid créées il y a deux décennies par le régime d’Omar el-Béchir afin de combattre les groupes rebelles de la région. Dans leur sillage, des centaines de milliers de personnes, fuyant les affrontements ou les campagnes de nettoyage ethnique, comme à El-Geneina, avaient rejoint El-Fasher, relativement épargné jusqu’à ces derniers mois. «On parle de 800 000 déplacés dans les camps d’El-Fasher, rappelle Suliman Baldo, fondateur du think tank Sudan Policy and Transparency Tracker. Un assaut sur la ville provoquerait un mouvement de déplacement sans précédent au Darfour, et inévitablement une catastrophe humanitaire.» L’ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’ONU, Linda Thomas-Greenfield, a affirmé qu’«un désastre aux proportions épiques se prépare».
«Incendie».
L’offensive des RSF, en milieu urbain et dans une ville surpeuplée, aurait pour conséquence «de faire couler massivement le sang de civils innocents», a également averti Toby Harward, coordinateur humanitaire adjoint de l’ONU pour le Darfour, dénonçant «l’incendie systématique de villages entiers [par les RSF] , les bombardements aériens [par l’armée] et un siège de plus en plus strict» d’El-Fasher. La Sixième Division de l’armée soudanaise, en charge de la défense de la ville, est alliée à deux puissants groupes armés, le Mouvement de libération du Soudan de Minni Minnawi et le Mouvement pour l’égalité et la justice de Gibril Ibrahim. Ces deux anciens rebelles ont annoncé en décembre «renoncer à leur neutralité» en ralliant le camp du général Al-Burhan, commandant en chef de l’armée nationale.
Des combats ont déjà éclaté dans la banlieue d’El-Fasher, mais ils sont restés contenus. Les mises en garde répétées de la communauté internationale semblent faire hésiter Hemetti, en quête de respectabilité à l’étranger, à lancer un assaut massif sur la ville. «S’attaquer à El-Fasher, considéré par toutes les communautés du Darfour comme un symbole de cohabitation ethnique harmonieuse, est un gros risque, poursuit Suliman Baldo. Mais en contrôlant cette ville-carrefour, Hemetti mettrait la main sur les routes commerciales de la Libye et de l’Egypte. Il aurait également le contrôle sur l’aide humanitaire à destination du Darfour, où vit un quart de la population soudanaise.» La prise de la ville accréditerait le scénario d’une partition durable du pays, redouté depuis l’éclatement de la guerre civile.
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