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Brest en coupe d’Europe, «c’est un pied de nez au foot moderne»

L’équipe du Finistère est assurée d’une place européenne à l’issue du championna­t. Avant le dernier match à domicile contre Reims ce vendredi, retour sur une année exceptionn­elle avec les amoureux de longue date des Rouge et Blanc.

- Par ElodiE AuffrAy Envoyée spéciale à Brest (Finistère) Photos EmmAnuEllE PAys

Avant, c’était une blague. Une vanne récurrente entre copains supporteur­s, une pointe d’autodérisi­on toute brestoise, forgée dans les années de lose mais teintée de l’amour du blason. «Quand on était au fond du trou, on disait qu’un jour, on irait en coupe d’Europe», raconte «Pakito», ancien président des Ultras brestois entre 2007 et 2020, à l’époque où le club phare de la cité portuaire du Finistère louvoyait entre deuxième et première divisions. Et voilà que la plaisanter­ie devient réalité : à deux journées de la clôture du championna­t de Ligue 1 et au terme d’une saison folle, le Stade brestois (SB29), pour l’heure troisième du classement, est assuré de finir au minimum cinquième. Et donc de disputer au moins la Ligue Europa, ou peut-être même la Ligue des champions.

A la surprise générale, même pour ses propres supporteur­s, habitués à «une destinée qui nous voyait toujours rater les belles occasions», dit «Pak», attablé dans un bar-tabac du quartier Saint-Marc. L’un de ces fervents restés dans la tempête, même après la liquidatio­n et la relégation en amateur du Brest Armorique en 1991, au terme d’une décennie mythique. Une descente dont il fallut des années pour se relever. A l’image de cette ville détruite pendant la Seconde Guerre mondiale, où il a fallu tout rebâtir.

«Pour nous, c’est une vengeance, le destin nous rend enfin ce que le club méritait. On assiste à quelque chose qui, normalemen­t, ne devrait pas nous arriver. On n’est pas taillés pour, niveau budget, infrastruc­tures… Et on n’a aucun historique : notre meilleure place en championna­t, c’est huitième», brosse Pakito, qui trouve ça «jouissif»: «Ça nous permet de toiser

«On n’a pas de stars, mais on a un groupe. Aucun joueur ne se croit au-dessus des autres, l’ambiance est saine. A l’entraîneme­nt,

ça rigole.»

Yvon Le Roux ancien joueur au temps du Brest Armorique

un peu les gros, c’est une manière de dire qu’avec de l’authentici­té et de la bagarre, on arrive à des résultats. On n’a pas besoin de millions ni d’investisse­urs étrangers», jubile le quasi quadra, résumant l’essence de la joie des «Ti-Zef», le surnom des habitants. «C’est une grande fierté pour tous les Brestois, au-delà des amateurs de foot. Les gens sont contents que le petit tienne la tête aux gros, c’est la mentalité brestoise», livre le maire socialiste, François Cuillandre, depuis son bureau avec vue panoramiqu­e sur la rade et sur ce centre-ville au charme années 50 sous-coté.

«ForCe ColleCtive assez inCroyable»

«Ce public et cette ville méritaient de connaître une année glorieuse, loin de la galère», juge Yann Pondaven, l’un des trois jeunes animateurs du podcast Brest on Air, dédié aux Rouge et Blanc. «C’est un pied de nez au foot moderne, même si on en fait partie aussi : notre modèle n’est pas drastiquem­ent différent, mais avec notre petite touche à nous et c’est super que ça marche», complète son camarade Quentin Guéguen, depuis la terrasse baignée de soleil du pub Tara Inn, sur le port de commerce. Pour le vingtenair­e, c’est «la plus grande fierté, d’avoir un club qui a l’ADN brestois».

Né en 1950 de la fusion de patronages catholique­s, le club est de ceux, de plus en plus rares, qui ont gardé un actionnari­at local. Il est la propriété de Denis et Gérard Le Saint, deux frères patrons d’un gros groupe familial spécialisé dans la distributi­on de fruits et légumes. Férus de sport, ils sont également aux manettes du club de hand féminin. Denis Le Saint, qui préside le SB29, est salué parmi supporteur­s pour sa discrétion médiatique, sa gestion prudente, sa façon de ne pas interférer à tout-va et le travail de structurat­ion mené depuis son arrivée à la tête du club en 2016.

Quinzième budget de Ligue 1 avec une cinquantai­ne de millions d’euros, le Stade brestois ne visait à l’origine pas beaucoup plus que le maintien, après une saison dernière compliquée bouclée à la quatorzièm­e place. Alors que s’est-il passé ? «Quelque chose de miraculeux, une mayonnaise qui a pris», dit l’auteur de bandes dessinées Kris, qui a grandi dans les immeubles du Petit-Paris, le quartier qui entoure le stade. Passé sur les bancs du SB29 à l’adolescenc­e, le scénariste aux rouflaquet­tes ciselées et à la verve gouailleus­e a sorti l’été dernier une BD qui met en scène une aventure européenne de son club de coeur. Une épopée fictive, dont il était loin de s’imaginer qu’elle se concrétise­rait, plus habitué aux «records de lose», craignant tout au long de la saison qu’«à un moment, tout s’écroule». Mais non: cette année, Brest a cette «force collective assez incroyable, née dans la lutte pour le maintien». «On n’a pas de stars, mais on a un groupe. Aucun joueur ne se croit au-dessus des autres, l’ambiance est saine. A l’entraîneme­nt, ça rigole. Sur le terrain, on sent une équipe qui a envie de se battre ensemble», analyse aussi Yvon Le Roux, défenseur du temps du Brest Armorique, aujourd’hui ambassadeu­r du SB29.

Certes, quelques joueurs sortent du lot, comme le milieu de terrain Pierre Lees-Melou, le gardien Marco Bizot ou le défenseur Lilian Brassier. Mais le meilleur buteur, le milieu Romain Del Castillo, ne culmine qu’à huit ballons dans les filets. «C’est une équipe qui joue avec la mentalité brestoise, un côté collectif, égalitaire. Il n’y a pas de superstars, pas de grand meneur, mais des milieux qui marquent et des attaquants qui défendent», admire le chanteur Christophe Miossec, «intrinsèqu­ement» attaché au club, comme à cette ville «de gauche, ouvrière, un peu insulaire».

Le club, dépeignent ceux qui le suivent, repose aussi sur une équipe dirigeante et un staff technique où les anciens joueurs sont légion, comme le directeur sportif Grégory Lorenzi. Considéré comme le principal architecte de la success story, il a su composer une équipe cohérente, avec peu de moyens. Pourtant, le casting n’a presque pas changé, par rapport à la saison dernière. L’arrivée d’Eric Roy comme entraîneur en janvier 2023 a fait déclic. Le coach, qui n’avait pas exercé la fonction pendant douze ans, est devenu l’une des coqueluche­s du public. «Il a mis les joueurs en confiance», salue Daniel, riverain du centre d’entraîneme­nt, où ce retraité vient «presque tous les jours» regarder les séances. Le Stade brestois est l’un des rares, en Ligue 1, à conserver tous ses entraîneme­nts ouverts au public. Mardi, ils sont une dizaine sur le bord du terrain. «Bravo magicien», lance Steven à Eric Roy, à la fin. «Il n’y a rien de magique dans tout ça», rétorque l’intéressé, avant de se prêter à quelques selfies.

«Les joueurs sont accessible­s, ils s’arrêtent faire une photo, parler avec les enfants. On est encore loin du star system», apprécie Laurent, venu avec sa compagne et leurs deux enfants. «Au supermarch­é, ils font leurs courses comme tout le monde et personne ne les dérange», rapporte Jean-Luc, gérant de société de 51 ans. «Ici les joueurs sont tranquille­s parce que le public les aime, abonde Yvon Le Roux. C’est important, cette communion. Dans beaucoup de clubs, c’est cadenassé et ça crée des tensions quand ça ne marche pas.»

C’est une autre particular­ité de la recette brestoise : dans cette terre de foot, le public est au rendez-vous, «qu’il pleuve ou qu’il vente», dit Kris. «L’année dernière est représenta­tive : on était en difficulté et on ne les a jamais lâchés», racontent Yann et Quentin, de Brest on Air. C’est aussi parce qu’«on ne soutient pas le Stade brestois par hasard, il faut avoir un lien familial ou émotionnel. Comme Brest, c’est le terminus, il faut le vouloir pour y aller», disent-ils.

Commentair­es CondesCend­ants

«Les supporteur­s savent très bien qu’on ne va pas gagner tous les matchs. Mais si les joueurs sont investis, le public continue à les encourager», souligne Jacky Le Gall, qui a grandi à la buvette du stade, tenue par sa mère pendant soixante ans. Cette figure historique vit sa cinquantiè­me saison au service du club, «la plus belle». Aujourd’hui chargé d’accueillir les nouveaux joueurs, entre quête de logement et adaptation au territoire, il leur répète toujours «une devise très importante ici»: «Il faut mouiller le maillot, autrement que par la pluie qu’on a plus qu’ailleurs.»

Nuage sur cette saison folle : l’UEFA – la plus haute instance du ballon rond en Europe – a annoncé fin avril que trois des quatre tribules nes du stade Francis-Le Blé, celles assises sur des structures tubulaires, seraient fermées au public en coupe d’Europe, limitant le nombre de spectateur­s à 5 000 au lieu de 15 000 en Ligue 1. Vétuste, l’enceinte à l’anglaise bénéficie déjà de dérogation­s pour le championna­t domestique. Autre option : disputer l’Europe dans un autre stade. Ne souhaitant «à aucun moment jouer ailleurs qu’à Brest», maire et président tentent d’infléchir la position de l’instance européenne. En attendant, la décision de l’UEFA et les commentair­es condescend­ants donnent aux Brestois «l’impression de déranger», résume Tanguy, un supporteur. «Brest en coupe d’Europe, ça emmerde tout le monde. Un Brest-Real Madrid, ça ferait tache pour eux», allume Miossec. «Dans ce monde de riches, les petits sont plutôt mal vus», maugrée aussi François Cuillandre, soulignant que cette saison montre que le nouveau stade, promis depuis des années, «est une nécessité».

Pas question de gâcher la fête. Ce vendredi, pour le dernier match à domicile contre Reims, les ultras donnent rendez-vous dans le centre-ville à 18 heures pour monter ensemble jusqu’à Le Blé et «fêter l’Europe». La partie ne s’annonce pas facile, avec des organismes fatigués et probableme­nt sans LeesMelou et Del Castillo. Peu importe pour Quentin : «Ligue des champions ou Ligue Europa, ça m’est égal. Le principal, ce sont les émotions vécues cette année.» Et puis chacun en a conscience : l’année prochaine peut de nouveau être difficile, d’autant qu’il faudra mener de front deux compétitio­ns. «On se dit tous que ce sera le retour aux besogneux, dit Yann, de Brest on Air. On sait que ce n’est pas une saison normale, on en profite jusqu’au bout et on verra après.»

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 ?? ?? Le club est né en 1950 de la fusion de patronages catholique­s.
Le club est né en 1950 de la fusion de patronages catholique­s.
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Le stade Francis-Le Blé à Brest, mardi.
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Tanguy, supporteur­du Stade brestois, au bar Le Penalty, mardi.

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