L’écriture d’Auster fendait l’atome
L’écrivain irlandais Colum MacCann évoque sa rencontre en 2022 à la bibliothèque publique de New York avec l’auteur américain disparu le 1er mai, son sens de la solidarité et son art capable de faire qu’une rue de Brooklyn s‘étendait au reste du monde.
Le 19 août 2022, Paul Auster participait avec une douzaine d’écrivains à un événement du PEN Club de New York intitulé Stand With Salman. Salman Rushdie avait été sauvagement poignardé une semaine auparavant. Paul se tenait sur les marches dans sa tenue noire habituelle, ses cheveux gris balayés en arrière, et lisait, avec beaucoup d’allant, les mots de Rushdie sur l’importance d’écrire des romans dans l’étroitesse empoisonnée de notre époque.
Rare L’une des choses que Paul Auster a toujours défendues, c’est la capacité de penser concrètement et avec compassion, de manière contradictoire, au monde intérieur, afin de reconnaître également le monde plus large qui nous entoure. Nous devons comprendre les vies au-delà de la nôtre. Ouvrir les rideaux. Déverrouiller les positions des uns et des autres. C’est ce qui se passe, selon Paul, dans la nature labyrinthique de la narration.
Je me souviens avoir lu ses premiers romans : j’avais l’impression qu’il avait fendu l’atome. L’atome était local, bien sûr, mais son effet était universel. Une rue de Brooklyn s’étendait au reste du monde.
Pour Paul, l’imagination éthique a toujours été primordiale. Dans l’esprit spinozien, tout ce qui est excellent est aussi difficile que rare. Ce qui donne de la lumière doit supporter la brûlure. Et Paul, l’homme ordinaire, était tout à fait extraordinaire. La volute de la fumée de cigarette. Le verre de vin blanc. Son rire n’était pas seulement explosif, il était enveloppant. Ces yeux sombres aux paupières souvent décrites comme tombantes, et elles l’étaient en effet, mais elles fonctionnaient aussi comme des parapluies. Entrez par là. Restez un moment avec moi. Regardons la pluie et donnons peut-être un sens à tout cela.
Le débat autour de ses fascinations – la langue, l’amour, la connexion, la coïncidence, le baseball, le cinéma, l’amitié – sera un peu réduit avec sa disparition.
«Esprit» L’une des choses dont je me souviendrai le plus est son sens de la solidarité ce jour-là, il y a tout juste deux ans, lorsqu’il a pris la défense de Salman et qu’il a dit à l’homme qui gisait dans un lit d’hôpital : «Je t’aime comme un frère et je chéris l’amitié que nous avons construite ensemble au cours des trente dernières années.» Plus tôt dans la matinée, Paul se trouvait dans une pièce de la bibliothèque publique de New York – comme c’est approprié ! comme c’est borgésien ! – il se préparait pour les lectures avec sa femme
Siri Hustvedt. Nous parlions des terribles événements, et Paul s’est légèrement retourné, nous a regardés dans les yeux et a dit : «Mais on tue l’esprit fermé par l’esprit ouvert.»
L’une des beautés de la littérature est qu’elle nous accompagne même au-delà de la mort, et ce dont nous pouvons nous réjouir, c’est que les mots de Paul Auster continueront à nous parler au cours des années à venir. •
Ecrivain. Dernier livre paru, coécrit avec Diane Foley : American Mother, aux éditions