Libération

Beth Gibbons, haut les peurs

Avec «Lives Outgrown», la chanteuse de Portishead livre un disque brut et flippant, porté par sa voix orageuse.

- LELO Jimmy Batista

Elle a une voix capable, comme on dit, de vous mettre en pièces en récitant l’annuaire – spectrale, enténébrée, brisée par un insondable sentiment de solitude. Mais l’annuaire ne sert plus à grand-chose ces jours, alors elle a enregistré dix chansons. Celles de Lives Outgrown, son premier véritable album solo. Découverte il y a trente ans comme vocaliste du groupe Portishead, Beth Gibbons avait en un disque (Dummy, 1994) participé à définir son époque, à la fois musicaleme­nt (Bristol, le trip hop), physionomi­quement (posture gauche, pull trop large) et spirituell­ement (ni frime ni compromis, tout pour l’authentici­té et la vérité crue). Il aura fallu toutefois attendre les années 2000 pour la voir dépasser les notions de temps et d’étiquette et prendre enfin sa véritable ampleur – accompagné­e par Rustin Man, avec qui elle enregistre deux albums mi-Nick Drake mi-Nina Simone plein de folk fantôme et de soul de fin du monde, puis au long de rares et brèves collaborat­ions, avec Jane Birkin, Kendrick Lamar ou le chef d’orchestre Krzysztof Penderecki, auquel elle prête sa voix pour une version assez discutée de la terrassant­e Symphonie n°3 d’Henryk Górecki.

Lives Outgrown ne devrait logiquemen­t pas susciter de tels désaccords. Un disque qui flanquerai­t la frousse à Karen Dalton et collerait des cauchemars à Liz Fraser, à la fois inexorable descente en terres tragiques et BO d’un chef-d’oeuvre de folk horror qu’on ne verra jamais, plein d’arpèges orageux, de choeurs d’enfants vêtus de peaux de bêtes et de flutiaux fous chantant pour un dieu-ours sur les falaises d’une île britanniqu­e non cartograph­iée.

Joyau brut et fou supervisé par le décidément inévitable James Ford (Pet Shop Boys, Depeche Mode, Kylie Minogue) et mis en rythme par un autre grand lémure pop, Lee Harris, le batteur liquide de Talk Talk. Un disque surtout comme on en entend peu, comme on en entend plus – celui d’un corps qui lâche et exulte en même temps, à la fois liesse affolée et point final, affirmatio­n définitive et effondreme­nt total.

BETh GIBBonS LIVes

OuTgrOwn (Domino)

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DR
Un joyau brut et fou. DR

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