Libération

Point de chute

Alexis Jandard Le plongeur français, qui a su se moquer d’une gamelle vue par la France entière, vise un podium aux Jeux olympiques.

- Par ELSA de LA Roche Saint-andré Photo Cyril Zannettacc­i

Splash. Et la France découvrit Alexis Jandard. C’était le 4 avril, en pleine démonstrat­ion pour l’inaugurati­on du Centre aquatique olympique de Saint-Denis. Une jambe qui se dérobe, le dos qui rebondit sur le plongeoir, des caméras de télévision qui immortalis­ent la scène, et le président de la République aux premières loges. Il n’en fallait pas plus pour que cette culbute envahisse la Toile pendant vingtquatr­e heures. D’abord moqueurs, les cyber Français se sont rapidement pris de sympathie pour l’olympien au sourire Colgate, attendris par la story Instagram qu’il a eu la riche idée de publier pour «dédramatis­er la situation». «Si ça a pu amuser les gens, tant mieux», philosophe-t-il un mois plus tard dans son slip de bain bleu-blanc-rouge, tenue qu’il gardera tout au long de notre rencontre. Le corps toujours égratigné, il préfère retenir ce «grand coup de projecteur pour cette discipline dont on ne parle que quand il y a une chute ou un plat».

Bingo. Depuis, Jandard enchaîne les sollicitat­ions, entre plateaux de télé, terrain de foot pour donner le coup d’envoi d’un match de Ligue 1 ou cérémonie des Molières où il a été chargé de remettre une récompense. Il s’était déjà un peu illustré aux Jeux de Tokyo, il y a trois ans, en brisant une planche lors d’un saut d’entraîneme­nt. Mais cette fois, il a acquis une notoriété telle que son entraîneus­e, Clémence Monnery, s’en méfie. «C’est arrivé un jeudi, je lui ai laissé jusqu’au lundi pour gérer son buzz, et après, il fallait qu’il reste focus sur son entraîneme­nt», retrace-t-elle. Pour l’aider à «faire le tri», dès le samedi, une agente s’est vue confier la gestion «de toute cette partie médias».

Ouille. Alors, comment ne pas verser dans le complotism­e : n’aurait-il pas un peu cherché à faire parler de lui? «Si je l’avais fait exprès, je ne l’aurais pas aussi bien fait», pouffe-t-il. Plus sérieuseme­nt, «je m’en serais bien passé de cette chute, ça aurait pu être dramatique». Au point qu’Emmanuel Macron en personne s’enquiert de l’état de son dos et ses fesses au cours d’un échange en direct entre les deux hommes sur BFM TV. Ils ne sont pas restés en contact, et aux yeux de Jandard, c’est tant mieux : «Si un jour je devais à nouveau avoir affaire au Président, j’aimerais que ce soit avec une médaille autour du cou.»

Hourra. Cette médaille, le plongeur compte aller la chercher cet été à Paris. Perché à 3 mètres, il s’alignera à côté de son compatriot­e Jules Bouyer, car il n’a choisi de concourir que sur l’épreuve de synchronis­é, pas en individuel. Et ça sent bon, ce même binôme ayant arraché une médaille de bronze aux Mondiaux de juillet dernier. «Alexis, c’est quelqu’un avec qui je peux discuter librement, en qui j’ai vachement confiance sur la planche, et c’est ça qui fait la force dans notre duo», résume Bouyer, 21 ans, qui s’appuie sur l’expérience de son partenaire, de six ans son aîné. «Le plus grand atout d’Alexis, c’est son mental. Face aux épreuves et aux blessures, il a toujours su rebondir», complète leur coach Clémence Monnery.

Snif. Paris, ce sera «une revanche sur Tokyo» pour Alexis Jandard. Ces JO l’avaient «frustré», gâchés par la pandémie, loin des fantasmes nés dans l’esprit de l’Alexis de 2008. Le tricolore était reparti de la capitale nippone avec une 16e place, peu fidèle à son potentiel. Pour optimiser ses chances, il a même changé de club cette année, alternant désormais entre le Valde-Marne et le bois de Vincennes, où il s’entraîne avec l’équipe de France à l’Insep. Une infidélité pardonnée à son territoire «de coeur», la région lyonnaise, où il est né (à Ecully), où il a grandi (à Messimy), et où il avait toujours pratiqué le plongeon (à Vaugneray).

Boum. Enfin «toujours», façon de parler. C’est en gymnastiqu­e qu’Alexis Jandard s’est d’abord illustré. Dans sa famille, il se dit que c’est pour canaliser le jeune casse-cou que ses parents se sont décidés à l’emmener au gymnase. «Une fois, j’avais posé une chaise sur un baby-foot pour passer par le velux et aller sur le toit, mais ma mère m’a rattrapé par la jambe, se souvient-il. Dans le jardin, je faisais des saltos avec mes chaussures à ressorts. Si je retombais sur la nuque, je vérifiais que personne ne m’avait vu, et c’était reparti.» Bref, il ne tient pas en place. Malgré son envie de percer dans la gym, tout s’arrête brusquemen­t en 2012, quand le

Pôle France de Lyon le refuse.

Il n’a que 15 ans, et doit déjà repenser tout son projet. Ce sera finalement le plongeon, lui qui enchaîne les acrobaties dans la piscine familiale. Cette réorientat­ion lui réussit: dès l’été 2014, Alexis Jandard s’envole en Chine, avec son ticket pour les JO de la jeunesse. Amen. Il a alors 17 ans et voit le bout de sa scolarité effectuée dans le privé. «Chez les bonnes soeurs», caricature-t-il. Pour ses études, Jandard s’essaye aux Staps (sciences et techniques des activités physiques et sportives), constate qu’il n’arrive pas à combiner fac et sport de haut niveau, et finit par se former au coaching sportif, histoire d’être «sûr d’avoir un diplôme». Il n’a jamais eu de «vrai» métier, seulement des jobs d’été, encouragé par des géniteurs attachés à «la valeur travail», elle, coiffeuse, lui, peintre en bâtiment. Alexis Jandard n’avait donc jamais eu non plus de «vrai» salaire, juste des aides des collectivi­tés et de l’Agence nationale du sport, mais «pas assez pour financer [ses] saisons». Alors, pendant neuf ans, ses parents ont mis la main à la poche, et ont monté une associatio­n pour le soutenir. Le salut viendra de la police nationale, qui a monté une équipe d’une soixantain­e d’athlètes. «Une opportunit­é de dingue» sur laquelle Alexis Jandard saute début 2023. Sous CDD, il doit juste «vingt et une vacations annuelles à la police, dans des opérations de communicat­ion» et sera «accompagné» quand viendra l’âge de la reconversi­on. Alexis Jandard se rêve en CRS de haute montagne, mais ne ferme aucune porte. «J’ai signé avec une agence de modèle, je vais m’essayer à la radio… Je me laisse porter par tout ce qui m’arrive.»

Smack. Quoi qu’il lui arrive, il ne reste jamais loin de son «cercle». «Ma famille, c’est l’élément auquel je me raccroche», dit en souriant Jandard. Il rentre dans sa campagne natale «dès que possible pour quitter la bulle parisienne qui peut être étouffante». Là-bas, il parcourt les routes à vélo avec sa petite soeur, qui est aussi sa meilleure amie. Il traîne souvent à Lyon, la ville «n’est qu’à vingt-cinq minutes». Il y a rencontré sa copine, Ilona, quand elle faisait les Beaux-Arts. Grand amateur de théâtre, il alterne entre sorties culturelle­s et matchs de foot. Il est pour l’OL, et le revendique. Là où il refuse de dire qui il soutient, c’est en politique. Attaqué sur Instagram, car il suivait le compte de Jordan Bardella, il rappelle qu’il avait fait de même avec Jean-Luc Mélenchon. Depuis, il a préféré se désabonner de partout. «Je n’ai pas envie de discuter de politique alors que je ne maîtrise pas. C’est déjà suffisamme­nt compliqué de parler de mon sport !»

23 avril 1997 Naissance à Ecully (Rhône).

2012 Arrêt de la gymnastiqu­e.

2021 16e place en plongeon 3 m aux JO de Tokyo.

2023 Médaille de bronze en 3 m du plongeon synchronis­é aux Mondiaux.

2 août 2024 Epreuves de 3 m synchronis­é aux JO de Paris.

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