«Malmö est spécial, mais dans le bon sens du terme»
Dans la troisième ville de Suède, bastion de gauche, des milliers de manifestants ont défilé jeudi, comme toutes les semaines, pour dénoncer la guerre à Gaza.
Dans le ciel de la ville côtière de Malmö, les cris des mouettes se mêlent au ronronnement inhabituel des hélicoptères. Aux fenêtres et au cou des passants, les drapeaux et keffiehs palestiniens s’affichent en masse, occultant les banderoles et publicités vantant le concours de l’Eurovision, que la troisième ville suédoise accueille cette année. Le regard tourné vers un drone policier au-dessus de la foule qui s’apprête, ce jeudi aprèsmidi, à s’élancer depuis la place centrale, Lewis est venu, comme 12 000 manifestants, protester contre la participation d’Israël au concours et, plus largement, contre la poursuite de la guerre sanglante menée par l’Etat hébreu dans la bande de Gaza.
Pour ce Suédois de confession juive, qui a quitté les Etats Unis il y a des décennies pour échapper à la guerre du Vietnam, «il est crucial de montrer que tous les juifs ne sont pas sionistes» et «que nous pouvons, nous aussi, prendre la parole contre cette guerre». Gilet vert fluo sur le dos, cet infirmier en psychiatrie tapote un sac accroché à l’arrière de son vélo : «J’ai cette sacoche avec tout le nécessaire pour les premiers soins.» Nul besoin, toutefois, de street-medic : le défilé s’est déroulé sans accroc.
SOLIDARITÉ
Cela ne surprend pas Mahmoud El-Kayed, 59 ans. «Malmö est une ville spéciale, mais attention, dans le bon sens du terme», plaisante cet homme aux multiples casquettes –traducteur pour l’office public des réfugiés, la police, chauffeur de taxi et porte-parole d’un réseau de groupes de soutien à la Palestine dans le sud de la Suède. Depuis le début de la riposte israélienne à l’attaque du 7 Octobre, il est de toutes les manifestations hebdomadaires en solidarité avec la population de Gaza. «Dans ces défilés, vous trouvez des Suédois de toutes origines et de toutes religions. Il n’y a jamais eu de violence ou d’antisémitisme», assure-t-il. Ce que confirme Filip Annas, porte-parole de la police de la région, qui n’a enregistré aucune augmenta tion des violences contre la communauté juive de Malmö. «Les manifestations se sont toujours déroulées de manière pacifique. Nous sommes également en contact étroit avec les représentants des communautés juives et musulmanes.»
A une vingtaine de minutes de la vieille ville, Mahmoud nous conduit à Rosengård. Ce quartier, qui a vu le jour dans les années 70 dans le cadre d’un vaste projet de construction de logements sociaux pour remplacer des habitations vétustes, a été nourri par plusieurs vagues d’immigrations, notamment d’ex-Yougoslavie (la star suédoise du foot Zlatan Ibrahimovic y a grandi) et du Moyen-Orient. «Beaucoup de Palestiniens habitent dans ces immeubles», dit Mahmoud en pointant deux bâtiments. Dans le centre commercial du quartier, presque toutes les échoppes affichent en vitrine des drapeaux de la Palestine.
«DÉROUTE»
«Beaucoup de Suédois ont des clichés sur Rosengård. Ils pensent que c’est dangereux, que les habitants vont vous agresser. Mais comme vous pouvez le voir, c’est un endroit calme et agréable», poursuit Mahmoud. Il aimerait que les manifestations envoient au reste du pays un message de vivre-ensemble et de solidarité entre les différentes communautés. Mais l’extrême droite des Démocrates de Suède, qui soutient la coalition conservatrice au pouvoir depuis 2022 sans faire partie du gouvernement, ne l’entend pas ainsi. La mobilisation contre la participation d’Israël à l’Eurovision des habitants de Malmö, bastion de gauche dans une région marquée par une forte poussée de l’extrême droite aux dernières législatives, a relancé les campagnes de provocation. La semaine précédant la compétition, la ville a ainsi vu le retour des corans brûlés par des militants nationalistes. «Malmö est pour l’extrême droite l’archétype de la ville suédoise en déroute. Une ville où les différentes communautés s’affronteraient et où les Suédois blancs ne seraient pas admis, explique Tobias Hübinette, chercheur en études interculturelles à l’université de Karlstad. Mais il suffit de s’y balader pour comprendre que tout le monde cohabite et que cette vision est un mythe.»