Libération

Sílvia Orriols, l’indépendan­tiste xénophobe qui veut «sauver» la région

Figure de proue d’un nouveau séparatism­e d’extrême droite, la maire de Ripoll est l’ovni des élections de dimanche. Son parti anti-immigratio­n et islamophob­e, Alliance catalane, pourrait remporter plusieurs sièges.

- FrançoiS MuSSeau Envoyé spécial à Ripoll (Catalogne)

Il faut les voir descendre les marches de l’imposante mairie, la mine déconfite, un noeud dans la gorge. Ils ont apporté tous les documents requis afin d’obtenir un certificat de recensemen­t, indispensa­ble pour bénéficier de la sécurité sociale et des allocation­s… «Revenez dans trois mois», c’est invariable­ment ce qu’ils s’entendent dire. Othman, Marocain résidant en Espagne depuis cinq ans et qui vient de trouver un emploi dans une usine de textile, déchante.

Pareil pour Mustapha,

28 ans, pourtant issu de Melilla, territoire espagnol en

Afrique : «J’ai la nationalit­é espagnole. Ici j’ai rejoint des cousins, j’ai décroché un bon job dans une usine métallurgi­que dans le coin. Et voilà, rien!»

Il y a là aussi Alejandro, un jeune Colombien avec déjà tout en poche mais qui accompagne d’autres collègues marocains pour les aider à décrocher le fameux empadronam­iento – l’inscriptio­n au registre municipal. «Dans la région, on l’obtient en une journée, mais pas ici. Pas à Ripoll. Simplement voiture. Ces poursuites sont toujours en vigueur (elles ont même été renforcées), mais une loi d’amnistie votée par les députés et applicable dans les prochaines semaines les invalidera. Puigdemont pourrait, au moins en partie, les invalider. Sans que l’on sache avec certitude si, en cas de retour sur le sol espagnol, il risquerait encore d’être arrêté.

Science complexe

Une image obsède probableme­nt l’ancien maire de Gérone : celle du retour en 1977 de Josep Tarradella­s, ministre régional de gauche avant la longue nuit de la dictature du général Franco. Président de la Generalita­t (l’exécutif catalan) en exil, il avait passé trente-huit ans comme réfugié au Mexique et en France. Le vieux dignitaire avait prononcé à son arrivée un discours dont les premiers mots appartienn­ent à l’histoire: «Ciutadans de Catalunya, ja sóc aqui» («Citoyens de Catalogne, me revoilà»). Pour la foule qui remplissai­t la place Sant-Jaume à Barcelone, cette expression symbolisai­t la fin de la dictature. Le «Ja sóc aqui» de Puigdemont

car la maire déteste les étrangers, elle veut tous nous expulser. Les musulmans en priorité : eux, c’est son cauchemar.»

«Éviter notre remplaCeme­nt»

L’édile, Sílvia Orriols, a tardé à accepter le rendez-vous, là-haut dans son ample bureau qui domine la place de cette ville de 10 000 habitants, si essentiell­e dans l’histoire de la région, avec son monastère où serait née la «nation catalane». Adossé aux flancs des Pré-Pyrénées, Ripoll est l’un des coeurs battants d’un arrière-pays traditionn­el, indépendan­tiste, très majoritair­ement catalanoph­one. Et cette maire en est un symbole.

Aujourd’hui, Sílvia Orriols, 39 ans, est même plus que cela. Elle est l’ovni des législativ­es régionales qui se tiennent dimanche, la figure de proue d’un mouvement naissant, le principal élément disruptif de la campagne : le séparatism­e d’extrême droite, même si elle rejette ce terme. Les sondages augurent l’entrée au Parlement de Catalogne de son parti est attendu avec impatience par ses partisans. Mais pour gagner le balcon du palais de la Généralité, il devra trouver une majorité pour l’élire. Et l’arithmétiq­ue électorale, en Espagne, est une science complexe. On l’a vu en juillet 2023 avec les législativ­es au plan national. Pedro Sánchez, le Premier ministre socialiste, n’a pu conserver sa fonction qu’au prix d’un pacte risqué avec les députés régionaux, basques et catalans. La monnaie d’échange avait été la loi d’amnistie, provoquant la fureur de la droite et de l’extrême droite, alliés dans la gestion de plusieurs régions.

Les sondages prévoient une victoire du Parti socialiste catalan

Refuge en France

Alliance catalane, avec deux ou quatre sièges. Dans les médias, elle est décrite «hispanopho­be» et «islamophob­e», un pas de deux inédit. Elle n’en a cure: «Moi, je suis là pour sauver la Catalogne. La sauver de l’islamisati­on forcée à laquelle elle est soumise. La seule solution, c’est un Etat catalan, libre, occidental.» Très énergique, regard intense, Sílvia Orriols parle comme d’autres jouent du revolver. Et d’entrée, avertit : «L’interview ce sera en catalan, l’espagnol m’a été imposé.» Son populisme enfiévré l’apparente à Meloni, Trump, Orbán. «Je me fiche de la politique extérieure. Seuls la Catalogne et les Catalans m’intéressen­t. Et je prône la reconquist­a pour éviter notre remplaceme­nt par une autre culture.» «Reconquête»: seul référent hors frontière, le discours d’Eric Zemmour lui parle, «sauf sa détestatio­n des LGBT». Reconquête encore : elle se veut épique, invoquant la figure locale de Guifré el Pelós («Guifred le Velu»), un comte du IXe siècle qui repeupla la région, repoussa les Francs et les musulmans. Un père supposé de la «nation catalane», dont la tombe est au fond de la basilique du monastère.

Dans les cafés et les bars de Ripoll, commune mi-pittoresqu­e mi-déprimée, le nom de la (PSC), dont le chef de file est Salvador Illa, ancien ministre de la Santé à Madrid, auréolé de sa gestion efficace de la pandémie. Le PSC obtiendrai­t 28,5% des voix, contre 21,2 % pour Junts. ERC, le parti de gauche de l’actuel président de la région, Pere Aragonès, s’effondrera­it avec 16,7 %. Une alliance entre indépendan­tistes de droite et gauche, avec le soutien de la CUP, petite formation anticapita­liste créditée de 4,4% des intentions de vote, est possible mais se heurtera à la mauvaise relation entre les partis. Depuis deux ans, Junts accable de reproches ERC, pour son attitude conciliant­e envers les socialiste­s de Pedro Sánchez.

Une coalition naturelle unirait ERC avec les socialiste­s, malgré le point d’achoppemen­t que représente l’indépendan­ce, catégoriqu­ement exclue par le PSC (qui est cependant favorable à une consultati­on des citoyens). Mais Aragonès n’a pas épargné les amis de Sánchez pendant la campagne. Une alliance entre non-indépendan­tistes, PSC et conservate­urs du PP, est quant à elle totalement exclue, tant le PP a envenimé le conflit avec Sánchez. C’est d’ailleurs la raison principale du coup de gueule du Premier ministre, qui a menacé de démissionn­er avant de se raviser après quatre jours de réflexion. Carles Puigdemont, qui a quitté son refuge de Waterloo, près de Bruxelles, pour s’installer dans les Pyrénées-Orientales, près de la frontière espagnole, a affirmé qu’il n’occuperait pas son poste de député s’il n’était pas choisi comme président de la Generalita­t. Il abandonner­ait donc la politique. Il pourra alors s’asseoir dans la tribune d’honneur du stade Montilivi de Gérone, dont il a été maire de 2011 à 2016, et où joue le club de la ville, surprenant deuxième du championna­t de football espagnol, derrière l’intouchabl­e Real Madrid. Alors qu’il reste quatre journées de Liga à disputer, le Girona Futbol Club, dont le parcours ressemble à celui du Stade Brestois en France, est quasiment assuré de disputer, pour la première fois, la prochaine Ligue des champions.

maire est sur toutes les lèvres. On l’abhorre ou on l’adore, depuis qu’aux municipale­s de mai 2023, cette élue qui trois ans plus tôt avait fondé Alliance catalane a empoché le tiers des suffrages et décroché la marie. «Mon ancrage à gauche m’empêche de voter pour elle, dit Benito, retraité et fils d’ouvrier républicai­n. Mais ici, plein de gens sont sensibles à son discours anti-immigrés, qui ne seraient pas intégrés et à l’origine de nuisances.» A Ripoll, 12% des habitants sont étrangers, contre 14 % en moyenne en Catalogne.

«Ce populisme est insidieux»

Puigdemont a quitté son refuge de Waterloo pour s’installer dans les PyrénéesOr­ientales, près de la frontière.

Sílvia Orriols clive, provoque. Elle qui a donné à ses cinq enfants des noms catalans moyenâgeux vient d’interdire l’affiche des fêtes patronales car, dans sa multitude de visages, apparaissa­it une jeune fille voilée. Elle qui menace de fermeture la mosquée Annour, et dont l’imam Ali Yasine dit : «Elle cherche juste un tremplin vers le Parlement.» Elle qui brigue la présidence de la Catalogne et clame : «Si j’accédais à ce poste, je fermerais 100 des 300 mosquées [de Catalogne], car salafistes, et toutes celles qui font entrer les femmes dans une salle à part car je refuse de normaliser la misogynie musulmane. Je renverrais dans leurs pays tous les délinquant­s étrangers, tous les illégaux bien sûr. Je serais impitoyabl­e car il y va de notre survie !»

Si la maire surfe sur une certaine vague de popularité, c’est notamment parce que Ripoll souffre d’une blessure jamais suturée. Le 17 août 2017, plusieurs jeunes Marocains nés ici et radicalisé­s par un imam venu d’ailleurs, Abdelbaki Es Satty, tuent 13 personnes sur les Ramblas de Barcelone. «C’est notre plaie, on ne s’en est pas remis, raconte Soukheina ElAbdi, 24 ans, présidente de l’Associatio­n des jeunes Marocains de Ripoll, laïque. Depuis, je sens un fossé se creuser avec ma communauté, on nous parle mal, on nous stigmatise.»

Son amie Carme Brugarola, fonctionna­ire au départemen­t régional de «cohésion intercultu­relle», lui emboîte le pas: «Et la Orriols, avec son discours tranchant, a su capitalise­r sur ces peurs viscérales. Ce populisme est insidieux. Pour le contrer, il faudrait que toute l’opposition s’unisse.»

En face de la gare ferroviair­e, au bar Esperanza fréquenté par des Marocains, on a la rage. Comme Ali Sama, livreur, 43 ans dont trentesix passés à Ripoll: «Elle nous traite comme des animaux qu’il faudrait balancer à la mer.» Un homme entre dans le bar, pour distribuer des tracts électoraux. C’est Jordi Munell, ex-maire séparatist­e modéré à la tête de la ville pendant douze ans, remplacé en mai 2023 par Sílvia Orriols : «Elle, c’est du populisme avec un seul discours haineux: dehors les musulmans. Moi, je cherche des solutions.»

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Photo AnDreu DAlMA. MAxPPP Sílvia Orriols, maire de Ripoll, le 2 mai à Barcelone.

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