Sílvia Orriols, l’indépendantiste xénophobe qui veut «sauver» la région
Figure de proue d’un nouveau séparatisme d’extrême droite, la maire de Ripoll est l’ovni des élections de dimanche. Son parti anti-immigration et islamophobe, Alliance catalane, pourrait remporter plusieurs sièges.
Il faut les voir descendre les marches de l’imposante mairie, la mine déconfite, un noeud dans la gorge. Ils ont apporté tous les documents requis afin d’obtenir un certificat de recensement, indispensable pour bénéficier de la sécurité sociale et des allocations… «Revenez dans trois mois», c’est invariablement ce qu’ils s’entendent dire. Othman, Marocain résidant en Espagne depuis cinq ans et qui vient de trouver un emploi dans une usine de textile, déchante.
Pareil pour Mustapha,
28 ans, pourtant issu de Melilla, territoire espagnol en
Afrique : «J’ai la nationalité espagnole. Ici j’ai rejoint des cousins, j’ai décroché un bon job dans une usine métallurgique dans le coin. Et voilà, rien!»
Il y a là aussi Alejandro, un jeune Colombien avec déjà tout en poche mais qui accompagne d’autres collègues marocains pour les aider à décrocher le fameux empadronamiento – l’inscription au registre municipal. «Dans la région, on l’obtient en une journée, mais pas ici. Pas à Ripoll. Simplement voiture. Ces poursuites sont toujours en vigueur (elles ont même été renforcées), mais une loi d’amnistie votée par les députés et applicable dans les prochaines semaines les invalidera. Puigdemont pourrait, au moins en partie, les invalider. Sans que l’on sache avec certitude si, en cas de retour sur le sol espagnol, il risquerait encore d’être arrêté.
Science complexe
Une image obsède probablement l’ancien maire de Gérone : celle du retour en 1977 de Josep Tarradellas, ministre régional de gauche avant la longue nuit de la dictature du général Franco. Président de la Generalitat (l’exécutif catalan) en exil, il avait passé trente-huit ans comme réfugié au Mexique et en France. Le vieux dignitaire avait prononcé à son arrivée un discours dont les premiers mots appartiennent à l’histoire: «Ciutadans de Catalunya, ja sóc aqui» («Citoyens de Catalogne, me revoilà»). Pour la foule qui remplissait la place Sant-Jaume à Barcelone, cette expression symbolisait la fin de la dictature. Le «Ja sóc aqui» de Puigdemont
car la maire déteste les étrangers, elle veut tous nous expulser. Les musulmans en priorité : eux, c’est son cauchemar.»
«Éviter notre remplaCement»
L’édile, Sílvia Orriols, a tardé à accepter le rendez-vous, là-haut dans son ample bureau qui domine la place de cette ville de 10 000 habitants, si essentielle dans l’histoire de la région, avec son monastère où serait née la «nation catalane». Adossé aux flancs des Pré-Pyrénées, Ripoll est l’un des coeurs battants d’un arrière-pays traditionnel, indépendantiste, très majoritairement catalanophone. Et cette maire en est un symbole.
Aujourd’hui, Sílvia Orriols, 39 ans, est même plus que cela. Elle est l’ovni des législatives régionales qui se tiennent dimanche, la figure de proue d’un mouvement naissant, le principal élément disruptif de la campagne : le séparatisme d’extrême droite, même si elle rejette ce terme. Les sondages augurent l’entrée au Parlement de Catalogne de son parti est attendu avec impatience par ses partisans. Mais pour gagner le balcon du palais de la Généralité, il devra trouver une majorité pour l’élire. Et l’arithmétique électorale, en Espagne, est une science complexe. On l’a vu en juillet 2023 avec les législatives au plan national. Pedro Sánchez, le Premier ministre socialiste, n’a pu conserver sa fonction qu’au prix d’un pacte risqué avec les députés régionaux, basques et catalans. La monnaie d’échange avait été la loi d’amnistie, provoquant la fureur de la droite et de l’extrême droite, alliés dans la gestion de plusieurs régions.
Les sondages prévoient une victoire du Parti socialiste catalan
Refuge en France
Alliance catalane, avec deux ou quatre sièges. Dans les médias, elle est décrite «hispanophobe» et «islamophobe», un pas de deux inédit. Elle n’en a cure: «Moi, je suis là pour sauver la Catalogne. La sauver de l’islamisation forcée à laquelle elle est soumise. La seule solution, c’est un Etat catalan, libre, occidental.» Très énergique, regard intense, Sílvia Orriols parle comme d’autres jouent du revolver. Et d’entrée, avertit : «L’interview ce sera en catalan, l’espagnol m’a été imposé.» Son populisme enfiévré l’apparente à Meloni, Trump, Orbán. «Je me fiche de la politique extérieure. Seuls la Catalogne et les Catalans m’intéressent. Et je prône la reconquista pour éviter notre remplacement par une autre culture.» «Reconquête»: seul référent hors frontière, le discours d’Eric Zemmour lui parle, «sauf sa détestation des LGBT». Reconquête encore : elle se veut épique, invoquant la figure locale de Guifré el Pelós («Guifred le Velu»), un comte du IXe siècle qui repeupla la région, repoussa les Francs et les musulmans. Un père supposé de la «nation catalane», dont la tombe est au fond de la basilique du monastère.
Dans les cafés et les bars de Ripoll, commune mi-pittoresque mi-déprimée, le nom de la (PSC), dont le chef de file est Salvador Illa, ancien ministre de la Santé à Madrid, auréolé de sa gestion efficace de la pandémie. Le PSC obtiendrait 28,5% des voix, contre 21,2 % pour Junts. ERC, le parti de gauche de l’actuel président de la région, Pere Aragonès, s’effondrerait avec 16,7 %. Une alliance entre indépendantistes de droite et gauche, avec le soutien de la CUP, petite formation anticapitaliste créditée de 4,4% des intentions de vote, est possible mais se heurtera à la mauvaise relation entre les partis. Depuis deux ans, Junts accable de reproches ERC, pour son attitude conciliante envers les socialistes de Pedro Sánchez.
Une coalition naturelle unirait ERC avec les socialistes, malgré le point d’achoppement que représente l’indépendance, catégoriquement exclue par le PSC (qui est cependant favorable à une consultation des citoyens). Mais Aragonès n’a pas épargné les amis de Sánchez pendant la campagne. Une alliance entre non-indépendantistes, PSC et conservateurs du PP, est quant à elle totalement exclue, tant le PP a envenimé le conflit avec Sánchez. C’est d’ailleurs la raison principale du coup de gueule du Premier ministre, qui a menacé de démissionner avant de se raviser après quatre jours de réflexion. Carles Puigdemont, qui a quitté son refuge de Waterloo, près de Bruxelles, pour s’installer dans les Pyrénées-Orientales, près de la frontière espagnole, a affirmé qu’il n’occuperait pas son poste de député s’il n’était pas choisi comme président de la Generalitat. Il abandonnerait donc la politique. Il pourra alors s’asseoir dans la tribune d’honneur du stade Montilivi de Gérone, dont il a été maire de 2011 à 2016, et où joue le club de la ville, surprenant deuxième du championnat de football espagnol, derrière l’intouchable Real Madrid. Alors qu’il reste quatre journées de Liga à disputer, le Girona Futbol Club, dont le parcours ressemble à celui du Stade Brestois en France, est quasiment assuré de disputer, pour la première fois, la prochaine Ligue des champions.
maire est sur toutes les lèvres. On l’abhorre ou on l’adore, depuis qu’aux municipales de mai 2023, cette élue qui trois ans plus tôt avait fondé Alliance catalane a empoché le tiers des suffrages et décroché la marie. «Mon ancrage à gauche m’empêche de voter pour elle, dit Benito, retraité et fils d’ouvrier républicain. Mais ici, plein de gens sont sensibles à son discours anti-immigrés, qui ne seraient pas intégrés et à l’origine de nuisances.» A Ripoll, 12% des habitants sont étrangers, contre 14 % en moyenne en Catalogne.
«Ce populisme est insidieux»
Puigdemont a quitté son refuge de Waterloo pour s’installer dans les PyrénéesOrientales, près de la frontière.
Sílvia Orriols clive, provoque. Elle qui a donné à ses cinq enfants des noms catalans moyenâgeux vient d’interdire l’affiche des fêtes patronales car, dans sa multitude de visages, apparaissait une jeune fille voilée. Elle qui menace de fermeture la mosquée Annour, et dont l’imam Ali Yasine dit : «Elle cherche juste un tremplin vers le Parlement.» Elle qui brigue la présidence de la Catalogne et clame : «Si j’accédais à ce poste, je fermerais 100 des 300 mosquées [de Catalogne], car salafistes, et toutes celles qui font entrer les femmes dans une salle à part car je refuse de normaliser la misogynie musulmane. Je renverrais dans leurs pays tous les délinquants étrangers, tous les illégaux bien sûr. Je serais impitoyable car il y va de notre survie !»
Si la maire surfe sur une certaine vague de popularité, c’est notamment parce que Ripoll souffre d’une blessure jamais suturée. Le 17 août 2017, plusieurs jeunes Marocains nés ici et radicalisés par un imam venu d’ailleurs, Abdelbaki Es Satty, tuent 13 personnes sur les Ramblas de Barcelone. «C’est notre plaie, on ne s’en est pas remis, raconte Soukheina ElAbdi, 24 ans, présidente de l’Association des jeunes Marocains de Ripoll, laïque. Depuis, je sens un fossé se creuser avec ma communauté, on nous parle mal, on nous stigmatise.»
Son amie Carme Brugarola, fonctionnaire au département régional de «cohésion interculturelle», lui emboîte le pas: «Et la Orriols, avec son discours tranchant, a su capitaliser sur ces peurs viscérales. Ce populisme est insidieux. Pour le contrer, il faudrait que toute l’opposition s’unisse.»
En face de la gare ferroviaire, au bar Esperanza fréquenté par des Marocains, on a la rage. Comme Ali Sama, livreur, 43 ans dont trentesix passés à Ripoll: «Elle nous traite comme des animaux qu’il faudrait balancer à la mer.» Un homme entre dans le bar, pour distribuer des tracts électoraux. C’est Jordi Munell, ex-maire séparatiste modéré à la tête de la ville pendant douze ans, remplacé en mai 2023 par Sílvia Orriols : «Elle, c’est du populisme avec un seul discours haineux: dehors les musulmans. Moi, je cherche des solutions.»