Près de Kharkiv, la tentative de percée russe sème le doute
Les Russes ont attaqué vendredi des cibles dans la zone frontalière du NordEst. Une incursion et des bombardements qui interrogent : il pourrait s’agir d’une diversion ou d’une opération de reconnaissance avant une offensive sur la seconde ville du pays.
Bis repetita. Un an et demi après avoir été expulsée du nord de Kharkiv, qu’elle avait occupé durant les six premiers mois de la guerre, l’armée russe a tenté vendredi de reprendre pied dans la zone frontalière. A l’aube, aux alentours de 5 heures du matin, après une nuit de frappes, des groupes d’infiltration russes ont attaqué les postes-frontières et tenté de percer la ligne de défense ukrainienne, appuyés par l’artillerie ainsi que des bombes planantes guidées, principalement dirigées vers la petite ville de Vovchansk, située à 50 kilomètres au nord-est de Kharkiv et à 5 kilomètres de la frontière. Le ministère de la Défense, à Kyiv, a confirmé quelques heures plus tard une «tentative de percée» et des combats en cours.
Durant toute la matinée, les forces russes ont ouvert un nouveau front sur une étroite bande de territoire. A 9 h 45, les Russes attaquent le village de Bouhaivka. A 10 heures, Vovchansk est sérieusement bombardé. A 12h50, une frappe tue un civil âgé de 55 ans dans le village de Cherkaski Tyshky. A la mi-journée, Vovchansk est de nouveau sous le feu, alors que les autorités de Kyiv annoncent l’envoi de troupes en renfort afin de contrecarrer l’avancée ennemie et aider à l’évacuation des civils. Dans l’aprèsmidi, Oleh Syniehoubov, le gouverneur de Kharkiv, déclare que la situation est sous contrôle et que «les forces armées [ukrainiennes] tiennent leurs positions avec confiance et n’ont pas perdu un seul mètre de territoire».
«Points faibles».
«La Russie a lancé une nouvelle vague de contre-offensive, l’Ukraine l’a accueillie sur place avec ses troupes, ses brigades et son artillerie», a confirmé vendredi midi le président Volodymyr Zelensky lors d’une conférence de presse en compagnie de la Première ministre slovaque, Zuzana Caputova. «Il est important de se serrer les coudes dans cette zone. Nos troupes, nos commandants, étaient au courant et ont calculé leurs efforts pour résister au feu de l’ennemi. Aujourd’hui, nous faisons face à des combats acharnés», a-t-il ajouté, le regard sombre. Selon toute vraisemblance, l’attaque s’est déroulée à plusieurs endroits de la frontière, sur une distance de quelques dizaines de kilomètres.
Selon des visuels notamment diffusés par la garde nationale, les forces russes ont envoyé en territoire ukrainien des groupes d’infanterie soutenus par des véhicules blindés. Yuriy Butusov, journaliste et analyste militaire bien informé, indique que selon ses sources, quatre villages, Strilecha, Krasne, Pylna et Borysivka, soit une surface de 30 kilomètres carrés, seraient sous contrôle russe. «L’ennemi cherche à tester les points faibles de notre défense», indique-t-il au téléphone à une radio de Kyiv. Andriy Kovalenko, chef du Centre de lutte contre la désinformation, estime quant à lui qu’il s’agit là d’un «simulacre» de contreoffensive massive, que «la situation est difficile, mais sous contrôle».
Dans les jours précédant le dimanche de Pâques orthodoxe, le week-end dernier, l’Ukraine avait commencé à bruisser de rumeurs évoquant un possible assaut russe sur les régions du Nord, après des semaines de rodomontades télévisées moscovites faisant de Kharkiv la cible d’une prochaine offensive majeure. La zone frontalière est depuis des mois le terrain d’un match explosif, à mi-chemin entre Kharkiv et sa voisine russe de Belgorod. De là, partent les frappes ukrainiennes touchant épisodiquement la ville russe, tandis que l’armée du Kremlin souhaiterait, pour s’en prémunir, établir une «zone tampon» de 10 kilomètres, qui mettrait Kharkiv, la seconde ville d’Ukraine, à portée d’artillerie.
Munitions.
Rencontré miavril, le gouverneur de Kharkiv, Oleh Syniehoubov, jugeait peu probable un nouveau siège, mais observait la concentration d’un contingent tactique de 50 000 hommes en face de sa ville, alors que 85% de l’effort de défense ukrainien est dirigé vers le Donbass. Dans une interview publiée vendredi dans The Economist, Oleksandr Pavliouk, commandant des forces terrestres ukrainiennes, estime que la Russie va continuer à se concentrer sur la région de Donetsk, mais selon les informations qu’il reçoit, les forces russes vont tenter d’étirer la défense ukrainienne en attaquant les régions de Kharkiv et de Soumy.
En toile de fond, l’arrivée sans cesse repoussée de munitions occidentales sur le front, le manque d’artillerie et de blindés. «La Russie sait que si nous obtenons suffisamment d’armes en l’espace d’un mois ou deux, la situation peut se retourner contre elle, déclare le général Pavliouk. [Elle] vérifie la stabilité de nos lignes avant de choisir la direction la plus appropriée. Les généraux russes utilisent tout l’équipement de combat dont ils disposent pour tester les troupes ukrainiennes épuisées, qui n’ont pas assez de matériel.» La Maison Blanche a annoncé vendredi une aide militaire de 400 millions de dollars, sous forme d’équipement et d’aide à la formation, pour «porter assistance à l’Ukraine».•