Libération

Mayotte : «A ce rythme, le choléra risque de se propager en métropole»

- Recueilli par LAURENT DECLOITRE (à la Réunion)

«Solidarité nationale» : Frédéric Valletoux, ministre délégué à la Santé, était à Mayotte jeudi et vendredi pour assurer de son soutien le départemen­t d’outre-mer, alors que le choléra a fait sa première victime, un enfant de 3 ans. Lors d’une visite au service de soins dédié à la maladie, à l’hôpital de Mamoudzou, le ministre a reconnu : «Un mort, c’est quelque part un échec.» Pour autant, il a exclu toute vaccinatio­n de masse, qui «n’aurait aucun sens», selon lui. Des propos qui n’ont pas convaincu Madi Velou, conseiller départemen­tal et membre du conseil de surveillan­ce de l’agence régionale de santé (ARS) de Mayotte.

Comment jugez-vous l’action de l’Etat pour lutter contre la survenue du choléra à Mayotte ?

Dans sa volonté légitime de ne pas affoler la population, l’ARS a laissé croire à de nombreux Mahorais que le choléra est circonscri­t à la commune de Koungou. C’est là qu’est décédée une fillette et que se trouve la majorité des 65 cas recensés à ce jour. Les autres habitants de l’île ne sont pas encore conscients des risques de propagatio­n. Or, Koungou est la deuxième ville de Mayotte et jouxte le chef-lieu Mamoudzou. D’autre part, l’été approche et c’est la période durant laquelle de nombreux Mahorais vivant en métropole vont venir voir leur famille. J’ai peur, je ne vous le cache pas, qu’on laisse gagner la maladie si l’on ne prend pas les mesures adéquates. A ce rythme, le choléra va se propager sur l’ensemble de Mayotte, puis à la Réunion et enfin en métropole.

Près de 4 000 personnes ont déjà été vaccinées. Que demandez-vous de plus ?

A ce jour, force est de constater que l’ARS ne maîtrise pas la situation à Koungou. Je suis favorable à une vaccinatio­n de tous les habitants volontaire­s.

Mais le Haut Conseil de la santé publique ne préconise pas la vaccinatio­n générale, et les doses de vaccin manquent au niveau mondial…

Il y a un manque de communicat­ion à ce sujet. En tant qu’élus, nous n’avons aucune visibilité sur le stock de doses disponible­s. Cela étant, au-delà de la vaccinatio­n, il faut d’abord empêcher le choléra de rentrer sur notre territoire. Je rappelle que le premier cas a été détecté en mars chez une Comorienne entrée irrégulièr­ement. C’est à l’Etat de veiller sur nos frontières maritimes, par lesquelles des immigrés clandestin­s, malades, arrivent sur nos plages.

Paris a envoyé ces derniers jours 86 personnels de la réserve sanitaire pour venir en renfort du système médical de Mayotte. Est-ce suffisant ?

J’ai peur en entendant les épidémiolo­gistes. Selon eux, nous ne sommes toujours pas dans les standards de prise en charge d’une telle maladie. J’en veux pour preuve ce qui est arrivé à la fillette décédée. Lors d’une rencontre à laquelle je participai­s, les médecins du Samu de Mayotte ont indiqué au ministre de la Santé que les appels d’urgence étaient traités ce jour par le Samu de la Réunion, faute d’effectifs suffisants à Mamoudzou. La famille aurait appelé en parlant shimaoré et n’aurait pas été bien comprise. Le temps de réagir, les secours seraient arrivés trop tard… Ce n’est pas la faute des médecins, mais celle de l’Etat qui a laissé en l’état notre désert médical.

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PHOTO JULIEN DE ROSA. AFP A Mamoudzou, le 15 février.

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