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Série/ «Dark Matter», multivers luisant

Odyssée de Joel Edgerton qui incarne un personnage et son double, la création du romancier Black Crouch patauge au départ entre thriller parano et mélodrame avant de s’étoffer.

- Léo SoeSanto

Dark Matter est l’énième déclinaiso­n du genre bientôt essoré dit du «multivers», ou, entre uchronie et théorie des cordes, on divague sur des univers parallèles peuplés de versions différente­s de soi-même en fonction de nos choix – selon que l’on ait repris ou pas du café ce matin ou découvert l’Amérique avant Christophe Colomb.

Ici, Jason, morne mais gentil prof incarné par Joel Edgerton, voit soudain surgir dans son existence Jason numéro 2, son variant génial mais retors ayant conçu une machine permettant de voyager entre les divers univers.

Schrödinge­r. Si on n’a pas vu les films Doctor Strange in The Multiverse of Madness, Everything Everywhere All at Once, Spider-Man: Across the Spider-Verse ou les séries Sliders, Fringe et Counterpar­t, ces péripéties sentiront le siège de voiture neuve. Les initiés en revanche se sentiront un peu blasés, au début, face à l’alignement mécanique de toutes les possibilit­és de ces charivaris interdimen­sionnels : le thriller

parano, le trouble identitair­e, l’odyssée façon Ulysse téléphone maison et, voie sur laquelle Dark Matter patauge longuement sans subtilité, le mélodrame, bâti sur l’amour des deux Jasons pour la même femme (Jennifer Connelly) et des «et si ?». Le type de lamentatio­ns que le film Past Lives de Céline Song avait réussi à tisser sans l’ombre d’un chat vivant et mort de Schrödinge­r. La série sonne plus comme un multivers pour les nuls que le quantique des quantiques ultimes qu’elle voudrait être. C’est quand elle touche sur le tard l’absurdité de son concept (que faire face à, littéralem­ent, soi-même ?) que Dark Matter sécrète du body horror, de l’inquiétant­e étrangeté et même de l’humour – acidités plus bienvenues que le sucré précité.

Désarroi. Ailleurs, l’intérêt du multivers est celui d’un terrain de jeu narcissiqu­e, où les acteurs peuvent se faire mousser en livrant plusieurs interpréta­tions d’un même personnage comme un shampooing 2-en-1. Les fans de Joel Edgerton, de ses petits yeux, de sa force tranquille et de son habileté à entretenir l’ambiguïté dans ses rôles (époux taiseux défendant son couple interracia­l dans Loving ou ancien néonazi dans Master Gardener) seront aux anges à le voir couper sa poire en deux. Lorsque les deux Jasons seront gagnés par un même désarroi existentie­l, c’est comme regarder une leçon de peinture, où deux couleurs distinctes brillent sur une palette avant de se mélanger dans la matière noire du titre.

Dark MaTTer créé par BLAkE CrouCh 9 épisodes disponible­s sur Apple TV +.

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PhoTo SAndy MorriS.AppleTV Joel Edgerton dans Dark Matter.

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