Libération

«The Long Shadow», chasse à l’ogre

Nouvelle adaptation de l’affaire de l’éventreur du Yorkshire qui a hanté l’Angleterre en 1975, le polar classique bascule habilement vers le portrait d’une police et d’un pays rongés par leurs préjugés.

- MariuS ChapuiS

Leeds, 1975. Peu avant l’aurore, deux enfants quittent leur petite maison de briques pour se faufiler dans le parc attenant, à la recherche de leur mère qui n’est pas rentrée. Quelques heures plus tard, c’est la police qui vient les trouver. Le corps de Wilma McCann vient d’être découvert : première victime attribuée à «l’éventreur du Yorkshire», qui hantera le nord-ouest de l’Angleterre pendant cinq ans. L’histoire, maintes fois racontée en fiction (des romans de David Peace à leur adaptation sur Channel 4) ou en série documentai­re (Sur la piste de l’éventreur du Yorkshire, récemment), débute toujours par ces enfants perdus des pavillons du quartier défavorisé de Chapeltown, avant de s’étendre de Bradford à Manchester.

La mini-série The Long Shadow ne déroge pas à la règle. Créé par des vétérans de la télé britanniqu­e, George Kay (scénariste de Lupin,

Killing Eve, Criminal) et Lewis Arnold (réalisateu­r sur Misfits et Broadchurc­h), ce thriller ne semble d’ailleurs déroger à aucune règle, au point de toucher à une forme de feuilleton télé intemporel, qui refuserait tout effet de manche ou de mode. Pas de «coup» de narration, un montage sobre, pensé pour la télé plutôt que pour les plateforme­s (les coupures pubs sautent aux yeux), pas de star mais des enquêteurs aux joues couperosée­s. Comme un symbole, la seule vedette de la série est Toby Jones, grand figurant du cinéma britanniqu­e, qui semble avoir promené partout son air de Droopy croisé avec Jimmy Corrigan qu’il prête aujourd’hui au constable Hoban, premier enquêteur à se brûler les ailes sur cette enquête impossible.

Planques. The Long Shadow se déploie d’abord comme un tableau de l’usure, utilisant le temps long de la série pour dire le piétinemen­t d’une police sans indice, réduite à attendre de nouvelles victimes pour que quelque chose se débloque enfin. De fausses pistes en planques nocturnes foireuses, la série montre des corps qui s’épuisent, des esprits qui s’émoussent à mesure que les semaines d’enquête se changent en mois, puis en années. Les enquêteurs et les visages se succèdent, au gré des réaffectat­ions volontaire­s ou

subies. A la monstratio­n répétée de l’échec s’ajoute la peinture d’une police confite de préjugés : contre les prostituée­s, contre les noires de Chapeltown où est sans cesse rappelée l’enquête, et contre les femmes en général, au point que se dessinent peu à peu des degrés d’«innocence» présumée des victimes.

Ongles noirs. En tenant à distance son meurtrier invisible, la série organise à bas bruit un face-à-face entre deux mondes hermétique­s : celui des forces de l’ordre, essentiell­ement masculines (les femmes sont reléguées au standard quand elles ne sont pas envoyées faire le trottoir undercover), et celui des victimes, exclusivem­ent féminines. En marge de l’enquête, The Long Shadow esquisse

le visage des mortes en devenir. Toutes prostituée­s ou presque, toutes au bord de l’asphyxie économique. Une épouse fière et désespérée qui refuse de priver ses enfants de Noël. Une jeune prolo qui échoue à se faire embaucher comme nanny sans mesurer combien ses ongles noirs agissent comme un marqueur social. Des histoires brèves et marquantes qui font basculer la série du classicism­e true crime vers le portrait d’une Angleterre rongée par ses préjugés et par une guerre aux pauvres qui n’éclatera pleinement que quelques années plus tard.

The Long ShaDow sur Polar + et MyCanal à partir du 13 mai.

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PhoTo ThoMAS Wood La série montre l’épuisement de la police pendant l’enquête

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