Libération

Blu-ray/ «Door» 1 et 2, du genre toc-toc

Ressortie des thrillers horrifique­s et érotiques du Japonais précurseur Banmei Takahashi, adepte du plan séquence et du détail qui tue.

- Léo SoeSanto

En 1996, Kiyoshi Kurosawa commit, en guise de brouillon de son futur cinéma de menaces fantômes et d’aliénation en milieu urbain, le direct-to-video Door 3, suite très lointaine de Door 1 (1988) et Door 2 (1991), tous deux de Banmei Takahashi, qui débuta comme collaborat­eur du cinéaste anar-subversif Koji Wakamatsu. Longtemps invisible après la faillite de ses producteur­s, le premier Door est un thriller éprouvant où une mère au foyer doit résister au harcèlemen­t d’un démarcheur à domicile qu’elle a repoussé trop violemment.

Bulle.

Distributi­on resserrée, décor quasi unique d’un immeuble: le film n’a pas coûté cher mais Takahashi sait tendre et nouer avec peu le filet autour de sa victime, des voisins invisibles aux plans sinueux en caméra subjective façon giallo italien. Door fraie avec ce dernier, dans son stade terminal des années 80, où, chez Dario Argento et Lamberto Bava, les couleurs criardes en deviennent vulgaires et l’esthétique de feuilleton télé grignote le cadre. Mais y demeure la conviction que tout est possible dès qu’une femme est en danger, surtout visuelleme­nt. Le morceau de bravoure de Door est bien cette poursuite frénétique dans l’appartemen­t de la victime, filmée en plongée en plan séquence, comme dans une variation du Stanley Kubrick de Shining ou anticipant une séquence, identique mais plus flottante, dans le Snake Eyes (1998) de Brian De Palma. Le foyer devient soudain brièvement labyrinthe, l’horreur est cartograph­ique. La technique ne serait rien sans un certain fond, celui d’une déshumanis­ation économique qui met en miroir le prédateur (poussé au rendement) et le mari délaissant son épouse (coincé jour et nuit au bureau pour réparer un bug informatiq­ue). Door fut tourné tandis que le Japon était dans sa bulle spéculativ­e, une période d’économie en surchauffe. L’ironie suprême du film est que le méchant vient vendre des cours d’anglais censés libérer les ménagères, crever la bulle domestique dont elles sont prisonnièr­es.

nd

Takahashi avait débuté dans le pinku eiga, ce cinéma érotique japonais classieux. L’épouse frustrée sexuelleme­nt de Door en est une trace. Door 2 embrasse pleinement le genre et la porte du titre n’est plus celle qui protège la maisonnée, mais celles auxquelles la call-girl Ai tape avant de découvrir ses nouveaux clients. En funambule sur le fil entre la pureté et la fange, le film fait assez bien sa Belle de jour à mesure qu’Ai

s’enfonce dans les passes les plus risquées, croyant être étanche, pouvoir faire la part de l’âme et du corps en s’accrochant à un amour, un vrai.

Mélo. Le fantasme éculé de la prostituée libre malgré tout est constammen­t rafraîchi par un sens machiavéli­que du détail qui tue : une oreille percée, une paire d’escarpins rouges ou une pile de mystérieus­es cassettes audio sur lesquelles on entend le

vent souffler. C’est aussi un mariage sur l’eau qui finit en mélo. Door 2 aussi le précurseur d’une autre Ai encore plus malmenée dans la même profession, celle du film Tokyo Decadence (1992) de Ryu Murakami, qui fit impression en son temps.

Door 1 et 2 de Banmei Takahashi Blu-ray, disponible chez Carlotta Films.

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Photo Carlotta Films Takahashi a débuté dans le pinku eiga, cinéma érotique japonais classieux.

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