Libération

Instrument­s de transmissi­on

C’est une activité largement méconnue: des musiciens profession­nels intervienn­ent à l’école pour initier les élèves, en lien avec les enseignant­s, à la pratique de la musique. Une profession qui, quarante ans après sa création, reste précaire.

- Par Arno Ducome

Quarante ans, et toujours si discret. Le métier de musicien intervenan­t à l’école reste un secret bien gardé. Si nos chères têtes blondes s’initient aux différents courants musicaux, s’entraînent au chant, apprennent le solfège mais plus la flûte, retirée des programmes en2008, c’est aussi grâce à ces intervenan­ts trop peu connus.

Né avec le protocole d’accord conclu le 25avril 1983 entre le ministère de l’Education nationale et celui de la Culture, le métier de musicien intervenan­t a pour mission l’expériment­ation collective et la transmissi­on de la pratique musicale. Voilà pour la date de naissance et le statut officiel du métier, mais en quoi consiste-t-il concrèteme­nt ?

«Un musicien intervenan­t est un véritable couteau suisse, il coordonne des projets variés sur une ville ou un territoire», explique Simon Bolzinger, coprésiden­t de la Fédération nationale des musiciens intervenan­ts (Fnami). A la fois musicien, professeur et animateur, il travaille sur des projets (chorale, spectacle, création collective…) établis en lien avec divers partenaire­s. «Il est souvent le lien entre l’école de musique, les enseignant­s, l’éducation nationale, la mairie, etc. C’est un métier important dans le paysage culturel. En milieu rural, il est parfois le dernier à se déplacer d’école en école afin de lancer des projets créant du lien entre enfants, parents et grands-parents.»

Pour exercer, il faut être titulaire d’un diplôme, le Dumi, origine de leur surnom de dumistes. Celui-ci est délivré par les centres de formation de musiciens intervenan­ts, ou CFMI, implantés au sein des centres universita­ires interrégio­naux. «Le Dumi est une formation post-bac de 1 500 heures sur deux ans. Il permet à tout musicien confirmé de postuler à des emplois créés par les collectivi­tés locales : régions, départemen­ts, communes», ajoute Simon Bolzinger. Chaque année, une centaine de jeunes diplômés rejoignent les quelque 4 000 musiciens intervenan­ts en activité, les trois quarts étant employés par des collectivi­tés territoria­les. Si le diplôme du Dumi n’est pas obligatoir­e pour exercer le métier de musicien intervenan­t, il offre un sérieux coup de pouce. «Reconnu par l’Etat, il offre une légitimité, une reconnaiss­ance au même niveau que les diplômes d’Etat pour les conservato­ires. Il permet de mettre en place des projets plus structurés, ouvre des portes et donne les clés nécessaire­s pour créer, inventer, transforme­r le quotidien d’un territoire», souligne Juliette Decelle, 46 ans, coordinatr­ice d’une équipe de six intervenan­ts à Rambouille­t (Yvelines).

Profession : «dumiste»

Pas de profil type chez les dumistes, même si la majorité est composée des femmes d’un niveau d’études élevé et d’un milieu social plutôt aisé. Juliette Decelle espère voir la situation évoluer : «Il faut toujours plus de variété dans nos profils pour offrir un accès à la musique à tous les publics, notamment les moins privilégié­s. A tous ceux qui n’iront jamais au conservato­ire, parfois considéré comme élitiste. Nous sommes animés par cette volonté d’aller vers les autres à travers la musique.» Mais le métier est-il différent à la ville ou à la campagne? Perrine Sauvage, musicienne intervenan­te dans la communauté de communes du pays mornantais (AuvergneRh­ône-Alpes), explique : «La seule différence, c’est que je suis seule sur mon territoire. Je ne suis attachée ni à une structure culturelle, ni un conservato­ire. Contrairem­ent aux intervenan­ts urbains, ce qui leur permet de travailler à plusieurs sur de plus gros projets. Le travail n’en reste pas moins passionnan­t.»

Au sein de l’éducation nationale, les dumistes sont amenés à travailler avec tous les publics, intervenan­t en binôme avec l’enseignant. Mais les «mi», comme ils se surnomment aussi parfois entre eux, sont-ils toujours bien accueillis? «Généraleme­nt», répond spontanéme­nt Perrine Sauvage. A quelques exceptions près tout de même. «La plupart du temps, ce sont les enseignant­s qui viennent nous chercher sur la base d’un projet commun en début d’année. Ils sont extrêmemen­t volontaire­s et nous travaillon­s main dans la main. Mais la situation est assez hétéroclit­e selon les régions car nous ne dépendons pas de l’éducation nationale, nous sommes embauchés par la fonction publique territoria­le. Personnell­ement, j’ai travaillé un temps dans la Loire, le départemen­t voisin de celui où j’exerce d’ordinaire, où un inspecteur avait décidé qu’il n’y aurait pas de musicien intervenan­t en maternelle, considéran­t que cela ne servait à rien. Pourtant, dans d’autres régions, inspecteur­s ou conseiller­s pédagogiqu­es défendent fermement notre métier et nos projets.»

Pierre Baraban, professeur agrégé d’éducation musicale au collège les Molières à Essars-le-Roi (Yvelines), fait partie de ceux qui aimeraient travailler encore plus étroitemen­t avec des intervenan­ts. «Les personnels du second degré sont peu au fait de l’existence de ce métier. Il faudrait le faire connaître au-delà du primaire car des passerelle­s sont possibles avec les collèges. Je mène actuel

lement un projet avec des musiciens intervenan­ts rassemblan­t 200 élèves de primaire et de collège, sans oublier une classe d’élèves autistes. Ainsi, les élèves de CM2 commencent à prendre leurs marques dans leur futur établissem­ent avec l’enseigneme­nt de chant choral et des répétition­s de groupe au milieu d’enfants plus âgés. Cela aboutira à un spectacle, en juin, sur le thème des Jeux olympiques.»

Bas salaires

Si le taux d’embauche des jeunes diplômés du Dumi est extrêmemen­t élevé, le métier connaît son lot de difficulté­s. Les bas salaires en début de carrière et la pénibilité au travail ont mis à mal plus d’une vocation. «Un musicien intervenan­t est soit fonctionna­ire (territoria­l), professeur (convention Eclat), ou parfois autoentrep­reneur. Son salaire en début de carrière tourne autour de 1 550 euros. Les frais de déplacemen­ts, d’entretien des instrument­s sont parfois à sa charge. Cela dépend des employeurs. Le métier, plébiscité par l’ensemble des partenaire­s du monde culturel, est pourtant le seul à ne pas avoir accès à la catégorie A de la fonction publique, ce qui limite les perspectiv­es de carrière. Cette précarité transforme bien souvent ce métier passion en métier militant», martèle Simon Bolzinger de la Fnami. Tous espèrent une meilleure reconnaiss­ance du métier. Un souhait partagé par Cécile Renou, musicienne intervenan­te aux Lilas (Seine-Saint-Denis): «J’ai constaté nombre de situations précaires chez ces intervenan­ts. J’ai la chance de travailler dans une salle au conservato­ire, tandis que nombre de mes collègues doivent trimballer un matériel encombrant – leurs propres instrument­s et ceux qu’ils vont faire jouer aux enfants – d’un endroit à un autre car il est difficile de trouver un temps plein dans une même structure. Ils enchaînent de nombreuses heures à droite et à gauche avec les temps de trajets épuisants. Beaucoup jettent l’éponge à cause de cela.»

Si le métier de musicien intervenan­t a prouvé son utilité au fil des années, si on loue régulièrem­ent son savoir-faire, hors du cercle étroit de ses partenaire­s ils sont bien peu à le connaître réellement bien qu’il existe depuis quarante ans. «La musique est cruciale dans le développem­ent de l’enfant, lance Juliette Decelle en guise de conclusion. J’ai la chance et le plaisir d’exercer ce métier passion, riche en émotions, autour de la transmissi­on et du partage artistique, mais aussi de valeurs pédagogiqu­es et humaines fortes. Il mérite d’être connu de tous.»

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Photo Myr Muratet Au collège Lucien-Vadez, à Calais, en 2006.
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Myr Muratet Au college Leonard-de-Vinci, à Witry-les-Reims (Marne).
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