Libération

Arizona intime Chantal Thomas au «pays de l’attaque frontale»

- Par VIRGINIE BLOCH-LAINÉ

En 1982, Chantal Thomas, spécialist­e du XVIIIe siècle, connaissai­t très bien New York, aimait a priori les Etats-Unis, avait besoin d’aventures et d’argent. Elle a voulu partir enseigner en Alaska, mais cela n’a pas marché, alors elle s’est adressée à l’université de l’Etat mentionné à la ligne du dessous, dans une liste. Après l’Alaska venait l’Arizona: «Et comme toujours lorsqu’on n’attend rien, la réponse avait été favorable.» Ni une ni deux, elle s’est envolée pour un semestre. Lorsqu’on suit Chantal Thomas, la vie semble simple et les possibilit­és nombreuses, tant l’écrivaine saisit ce qui se présente avec souplesse, enthousias­me, curiosité, liberté. Journal d’Arizona raconte sa découverte des lieux, du climat, des couleurs, des êtres et des moeurs de cet Etat qui appartient à la «“Sun Belt”, la Ceinture du Soleil». Certes ce désert, décor de nombreux films et rempli de studios de cinéma, est un morceau du «pays de l’attaque frontale», fait remarquer Chantal Thomas. Mais cette violence nourrit aussi la musique et la poésie américaine­s qui plaisent à l’écrivaine. Au début des années 1980, elle avait 37 ans. Est-ce encore très jeune ? Quoi qu’il en soit, ce Journal d’Arizona est un récit de formation.

Les fragments qui le composent sont de taille variable. Certains ne comptent que quelques phrases. Franck, un homme amoureux de l’écrivaine, l’attend à New York et lui rappelle qu’elle a l’âge d’avoir un enfant: «Trente-sept ans. Horloge biologique, on ne plaisante pas avec ça.» Et, une ligne en dessous: «Horloge biologique, carillon panique… J’ai beau tendre l’oreille, je ne perçois rien.» Chantal Thomas ne deviendra pas mère. Elle regarde les femmes danser dans les boîtes de nuit, admire les palmiers et les cactus. En avril, «à cause de la chaleur, les pare-brise explosent». Elle pense au Sur la route de Kerouac et à Simenon qui a passé deux ans à Tucson, «le temps d’écrire une dizaine de livres, d’avoir un fils, et d’apprendre sa condamnati­on par la justice de la Libération». Elle reproduit des extraits du roman inachevé de Marivaux, la Vie de Marianne, sur lequel elle fait cours à l’université. Elle cite des passages du livre, celui-ci notamment: «Il peut y avoir plus affreux que de naître orpheline, c’est d’avoir des parents.» Journal d’Arizona, lorsqu’il révèle des parts d’intimité, rappelle le journal de Susan Sontag. Ici par exemple : «Proximité de Franck, hier au téléphone. Sa voix m’apporte la certitude que quelqu’un se tient là-bas, sur la côte Est, qui m’aime. Difficulté, antipathie que j’ai à me laisser aimer. Je n’arrive pas à intégrer la conscience d’être aimée à mon envie de vivre.» Les deux intellectu­elles, Sontag et Thomas, analysent leurs sentiments amoureux, mais les sépare la maîtrise des pensées et des humeurs qu’elles retranscri­vent. Le journal de Sontag a été publié à titre posthume. Il est spontané, cru, souvent prétentieu­x, époustoufl­ant, émouvant. Celui de l’académicie­nne est très tenu. On se demande même à quel point elle l’a repris pour le polir, pour en arrondir les angles. L’Arizona et le Mexique sont voisins. Fin mai, Chantal Thomas part à Mexico City où il lui faut supporter un «orage perpétuel». C’est la saison. Au restaurant, elle voit deux veuves, en noir. L’une d’elles éclate de rire : «L’image en noir et blanc se colore indécemmen­t du rouge brillant de ses gencives.» Les sentiments de l’autrice pour le Mexique évoquent ceux qu’elle éprouve pour un homme, José Luis : «alternance de désir et de répulsion».

CHANTAL THOMAS JOURNAL D’ARIZONA ET DU MEXIQUE Seuil, 192 pp., 21 € (ebook : 15 €).

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