SARKOZY EN RÊVAIT MACRON LE FAIT
Avec la circulaire Collomb sur les centres d’hébergement et l’ébauche d’un projet de loi, le gouvernement réunit contre lui toutes les associations d’aide aux migrants. Edouard Philippe les a accueillies jeudi, sans réussir à les convaincre.
Augmentation du nombre d’expulsions, allongement de la rétention… : circulaire ou projet de loi, les textes très durs du gouvernement suscitent un front commun des associations.
Accélérer l’examen des demandes d’asile, renforcer les pouvoirs de la police et de l’administration, augmenter le nombre d’expulsions: ces projets du gouvernement hérissent les associations d’aide aux migrants, reçues jeudi à Matignon et ressorties dépitées de leur rencontre avec le Premier ministre, Edouard Philippe. «Même après trois heures d’écoute, on comprend que leur ligne ne bougera pas, regrette la présidente de Médecins du monde, Françoise Sivignon. Leur philosophie, c’est vraiment : comment expulser mieux ?» Même constat pour le directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), Florent Gueguen : «Ils nous ont proposé de contribuer, mais on n’a pas l’impression que le gouvernement cherche à rétablir un équilibre dans ce texte.»
La rencontre, à laquelle ont aussi pris part les ministres Gérard Collomb (Intérieur), Jacques Mézard (Cohésion des territoires) et Jacqueline Gourault (ministre «bis» de l’Intérieur), avait été annoncée en décembre par Edouard Philippe. Cette consultation devait apaiser l’émoi provoqué par deux circulaires prévoyant, notamment, l’intervention d’«équipes mobiles» au sein des centres d’hébergement d’urgence, afin de contrôler la situation des occupants. Un mois plus tard, la colère des associations n’est pas retombée : mercredi soir, à quelques heures de leur rendez-vous à Matignon, vingt-six d’entre elles ont annoncé saisir le Conseil d’Etat pour obtenir la suspension des circulaires, jugées contraires aux «principes d’accueil inconditionnel en hébergement d’urgence». Manière d’ouvrir les discussions avec le gouvernement par un bon «coup de pression», n’a pas caché Gueguen.
«Déni d’humanité»
C’est aussi mercredi soir que le gouvernement a livré une première esquisse de son futur projet de loi, dont la présentation est prévue pour février, et dont le Parlement pourrait débuter l’examen en avril. Il prévoit notamment le doublement de la durée maximale de rétention administrative : celle-ci, qui est en l’état une des plus courtes d’Europe, passerait de 45 à 90 jours (lire ci-contre), contre 18 mois en Allemagne. Un durcissement qu’est censé balancer le renforcement des moyens dédiés à la politique d’intégration.
Au-delà des associations, l’opposition de gauche ainsi que plusieurs personnalités ont dénoncé les projets du gouvernement. A l’image du Prix Nobel de littérature Jean-Marie Gustave Le Clézio qui, dans une tribune publiée jeudi par l’Obs, évoque un «déni d’humanité insupportable» de la part d’un «pays extrêmement prospère [qui] refuse de sacrifier un peu de son pactole». Parmi les autres voix critiques s’exprimant dans l’hebdo figurent le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, l’historien Patrick Boucheron ou encore le président de la Conférence des évêques de France, Georges Pontier. Jeudi, la ministre Gourault est montée au créneau pour fustiger la une de l’Obs, représentant le visage présidentiel cerné de barbelés.
Sondés
Quant au chef de l’Etat, il s’est exprimé depuis Rome, où il participait mercredi à un sommet des pays du sud de l’UE, largement consacré à la question migratoire. Macron a vu «beaucoup de confusion intellectuelle» et trop de «bons sentiments» dans un débat où, juge-t-il, «on mélange tout: les migrants, les réfugiés, le droit d’asile, les migrations économiques». «L’asile, ce n’est pas l’accueil sans distinction», a-t-il tranché lors d’une conférence de presse avec le président du Conseil italien, Paolo Gentiloni.
Une fermeté qui n’a pas suffi à convaincre la droite: jeudi toujours, le porte-parole de LR Gilles Platret s’est alarmé du «laxisme du gouvernement face au défi migratoire», voyant dans les mesures annoncées «au mieux un coup d’épée dans l’eau, au pire un écran de fumée». LR regrette notamment la non-remise en cause de l’aide médicale d’Etat,
vieux combat de la droite et de l’extrême droite. Un parti pris dont se satisfait la députée LREM Aurore Bergé: «Le projet de loi est équilibré. Dans le débat parlementaire, on sera dans une position centrale, entre une droite maximaliste et les indignations de La France insoumise.» De quoi, espère-t-on, relativiser les réserves émises par certains députés LREM au sujet d’un texte jugé trop dur (lire pages 4-5).
«Le consensus des associations ne fait pas le consensus de l’opinion», poursuit Aurore Bergé, suggérant que l’exécutif s’appuiera sur des sondés largement réservés, voire hostiles vis-à-vis de l’immigration. Selon un récent sondage de l’Ifop, 64% des Français jugent ainsi «trop
élevé» le rythme de l’immigration. Ils sont 57 % à souhaiter la fin du regroupement familial. Et la même proportion à refuser que la France accueille «une partie» des migrants arrivés sur les côtes grecques et italiennes, malgré l’engagement pris en 2015 d’accueillir 30000 d’entre eux dans l’Hexagone au titre du droit d’asile.