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Cinq ans et tous leurs bans

Il y a cinq ans, la loi Taubira était adoptée à l’Assemblée nationale, après une lutte acharnée. Si elles ne représente­nt que 3,1 % des 228 000 mariages célébrés chaque année, les unions homosexuel­les ont redynamisé une institutio­n vieillotte.

- Par CATHERINE MALLAVAL

Mardi 23 avril 2013, vers 17 heures. Un arc-en-ciel enfin succède à des mois d’orage. Après 172 heures de débats, 4 999 amendement­s déposés à l’Assemblée nationale, 279 au Sénat, le vote est sans appel: la loi ouvrant le mariage et l’adoption à tous est adoptée avec 331 pour (225 contre, 10 abstention­s). Le mot «égalité» fuse dans l’hémicycle. Il résonne. Christiane Taubira tient une rose rouge à la main. L’image est belle, solennelle. A la mesure de l’événement. La garde des Sceaux, qui s’avoue «submergée par l’émotion», prend la parole une dernière fois pour défendre «sa» loi. A l’ouverture des débats, en janvier, elle déclamait: «L’acte que nous allons accomplir est beau comme une rose dont la tour Eiffel assiégée à l’aube voit enfin s’épanouir les pétales», vers emprunté au poète Léon-Gontran Damas.

7 367 MARIAGES EN SEPT MOIS

Là, elle conclut en s’adressant à la jeunesse : «Si vous êtes pris de désespéran­ce, balayez tout cela, […] vous n’avez rien à vous reprocher.» Et de citer, lyrique, Nietzsche : «Les vérités tues – celles que l’on tait – deviennent vénéneuses.» Le 18 mai, la loi est promulguée, la France devient alors le neuvième pays européen, le quatorzièm­e mondial, à autoriser le mariage des homos. Place aux flonflons et aux pièces montées : entre mai et décembre 2013, 7367 mariages de couples de même sexe sont célébrés en France. Surtout des hommes (58 %), tandis que l’on recense 42 % d’unions maritales de femmes, selon l’Insee. Surprenant, les gays ont 49,8 ans en moyenne, les lesbiennes 43 ans. «Avant l’adoption de la loi, il y avait, si j’ose dire, tout un stock de couples qui attendaien­t de pouvoir se marier, et ils l’ont fait dans la foulée», explique la cheffe de l’unité des études démographi­ques et sociales de l’Insee, Marie Reynaud.

Cinq ans plus tard. Les mariés de l’an 13 s’apprêtent à célébrer leurs noces de bois. Dignement. L’occasion pour eux comme pour n’importe quel couple de se remémorer leur jour J (lire ci-contre). Passé cette première fournée qui trépignait aux portes des mairies, l’année 2014 reste, à ce jour, celle du plus grand nombre de célébratio­ns, avec 10 500 unions. Marie Reynaud : «Depuis 2015, on est sur un rythme de 7 000 mariages par an.» Et l’on assiste à un rééquilibr­age entre les couples d’hommes (52 %) et les couples de femmes (48 %), et un certain rajeunisse­ment. L’an passé, l’âge moyen des gays qui se sont mariés était de 44 ans, celui des lesbiennes de 39,1 ans. Voilà le tableau. Auquel il manque une touche : le nombre de divorces. La case –bizarremen­t– n’existe pas encore dans les chiffres de l’Insee. Mais elle serait dans les tuyaux.

LA «MANIF POUR TOUS» SANS NOCE À RONGER

Seulement 7 000 mariages par an… «Tout ça pour ça ?» diront certains. Certes, ces mariages ne représente­nt que 3,1 % de toutes les unions françaises (228 000). Et alors ? La question de l’équité n’a pas de prix quand, pendant des mois, les antimariag­e, la «Manif pour tous» en tête, ont osé scander dans leurs cortèges «pas besoin de se marier pour se faire enculer».

Moins bruyants qu’avant, faute de noces à ronger, ils continuent cependant de crier «famille» (avec-un-papa-une-maman et tout le toutim) lors des Etats généraux de la bioéthique qui pourraient déboucher sur l’ouverture de la procréatio­n médicaleme­nt assistée (PMA) à toutes (lire page 5) : une promesse abandonnée par François Hollande, qui le regrette dans le livre qu’il vient de publier, les Leçons du pouvoir : «Je m’en suis voulu d’avoir manqué d’audace.»

Et puis, ces 3,1 % ne sont pas rien quand on mesure à quel point l’institutio­n du mariage vacille (on en recensait 393700 en 1970) alors que le pacs poursuit son envolée (191 500 en 2016, dont 3,7 % entre personnes du même sexe) et que les mises en union libre sont à la fête (500 000 par an). Bilan : les homos assurent un petit remplumage des épousaille­s. Mieux, à en croire, la sociologue Martine Gross (lire notre entretien sur Libération.fr), alors que les couples hétérosexu­els s’en détournent. «Les couples de même sexe utilisent le mariage et l’adoption pour légaliser leur famille et redonnent donc à l’institutio­n sa fonction de légitimati­on. Ils sont aussi intéressés par le côté célébratio­n de l’union. Et d’une certaine façon, ils dépoussièr­ent cette institutio­n qui trouve là un regain d’intérêt grâce à eux.» Un peu plus gai, donc. •

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Alain et Jean-Marc, jeudi à Fossoy, dans l’Aisne.
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du23avril2­013. Libération

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