Libération

PHILIPPE ET DAVID

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l’a promis, il a suffi qu’on se regarde pour savoir qu’on allait s’unir. On a joué à se faire des demandes en s’écrivant des mots sur la plage. On n’était pas très Gay Pride, mais à l’élection de Hollande en 2012, on a manifesté pour montrer que sa promesse de campagne était importante pour nous. Et fixé la date du mariage au 6 juillet 2013. «Comme on avait déjà largement célébré notre pacs, on pensait faire une petite fête seulement. Mais tous ceux qu’on avait invités ont voulu venir. On a compris que le mariage représenta­it vraiment un truc dans la tête des gens. On pensait être 30, on s’est retrouvés à 90 personnes. On comptait remettre nos tenues en lin du pacs, on a fini en robes blanches, avec bouquets et coiffures. «On a craint que la mairie de droite du 91 où on s’est inscrites ne traîne des pieds, mais tout s’est bien passé. Les gens dans la salle ont été surpris de nous voir passer nos alliances à l’annulaire droit. On a dû montrer notre tatouage sur le gauche pour qu’ils comprennen­t qu’on ne se trompait pas. L’ambiance était vraiment sympa. On avait créé un minisite pour que tout le monde mette la main à la pâte. Ceux qui ne se connaissai­ent pas ont ainsi fait connaissan­ce avant la cérémonie. L’énergie était là. Notre seule crainte c’était qu’Audrey, proche du terme, n’accouche ce jour-là. Notre fils a finalement attendu. Après notre union, on a envoyé un carton de remercieme­nt à Christiane Taubira, François Hollande et notre député, Jérôme Guedj. Sans eux, ce jour n’aurait pas existé.»

A.: «J’étais enceinte de 9 mois, et je ressentais tout de manière très forte. Mes parents, qui n’étaient pas là à mon pacs, sont venus. Pendant la cérémonie, je les regardais par moments. Je ne m’attendais pas à ce qu’ils sautent d’enthousias­me. Mais ils avaient l’air émus et pas bien à l’aise. Par-dessus tout, j’étais fière de porter notre premier enfant et qu’on se marie, nous, le couple homo. Fière de montrer que nous ne sommes pas différente­s, qu’on fait les choses naturellem­ent, et notamment s’aimer, qu’on renvoie de belles images, positives.

«Le discours de l’adjointe au maire, le fait que je sois enceinte, cela change le regard des gens. Un pas était franchi. C’était puissant. J’ai aimé la cohésion de nos amis. Tous ont participé. Cela a donné de la chaleur, de l’amour. Tout le monde

51 ans et 46 ans, chef de projet internet et cadre informatiq­ue,

pères de jumelles de 9 mois, Montreuil,

(Seine-Saint-Denis)

Ph. : «En 1995, de retour des EtatsUnis, n’ayant pas envie de passer par la case bar gay, j’ai passé une annonce sur la Radio Fréquence gay : c’est comme cela que j’ai rencontré David, un grand aux yeux verts, 23 ans, étudiant habitant chez sa mère… C’était en mars, on a emménagé ensemble dès l’été suivant. Déjà à cette période, je trouvais insupporta­ble d’avoir des droits de citoyen de seconde zone. Nous nous sommes donc pacsés dès le vote de la loi Jospin en 1999. Et mariés le 31 août 2013. On a très mal vécu l’avant-mariage. Tous les matins, quand je marchais dans mon quartier, je voyais les inscriptio­ns “un papa, une maman” écrites au pochoir sur les trottoirs ; dans les médias, il y avait également une déferlante de haine des opposants. Mais j’ai été content que le projet soit défendu par une femme noire, ellemême victime de l’intoléranc­e pour sa couleur de peau : Christiane Taubira.

«Nous avions fixé la date du mariage à l’avance et, le jour du vote de la loi, nous avons tout organisé dans la panique. Le choix des costumes, le lieu de la fête, les faire-part… Nous avions décidé de marcher depuis chez nous, dans le XVIIIe arrondisse­ment de Paris, jusqu’à la mairie : environ vingt minutes à pied. Nous étions tous les deux en costumes trois-pièces, avec noeud papillon et orchidée au veston. Comme nous avions prévu un voyage de noces à Hawaï, nous avons demandé à Jacob, mon neveu de 5 ans, de distribuer à tous les invités qui nous accompagna­ient des colliers de fleurs. Et nous avons eu la fierté de marcher tous ensemble ainsi vers la mairie, dans une sorte de procession assez drôle et avec le regard des passants presque tous bienveilla­nts. Une belle revanche après le calvaire infligé par les antimariag­e.

«Pendant la cérémonie, nous sommes arrivés dans la salle avec nos pères et mères aux bras, avec pour musique de fond l’Eté indien de Joe Dassin. L’adjointe au maire était un peu larguée. Elle a demandé à David s’il voulait bien me prendre pour épouse. J’ai fait remarquer qu’il y avait erreur, éclat de rire général. Elle a recommencé son discours depuis le début. Quand nous avons échangé nos bagues, j’avais la larme à l’oeil. Dans ma famille, on est quatre garçons. Pour l’instant, je suis le seul à avoir fait une vraie fête

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