Libération

L’organisati­on terroriste basque a publié vendredi un communiqué dans lequel elle demande pardon pour les 850 personnes qu’elle a tuées en quarante ans, mais fait un distinguo entre les victimes.

ETA: un ultime mea culpa à bon compte

- Par FRANÇOIS MUSSEAU Correspond­ant à Madrid

«Nous sommes conscients d’avoir provoqué une grande douleur pendant une longue période, y compris des dommages qui n’ont pas de solution. Nous voulons exprimer notre respect aux morts, aux blessés et aux gens ayant souffert des actions d’ETA. Nous le regrettons véritablem­ent.»

Vendredi, par le biais des journaux nationalis­tes Gara et Berria, les pistoleros moribonds de la dernière organisati­on terroriste existant sur le sol européen se sont livrés à un acte de contrition. Comme jamais au cours de leur histoire sanglante. Responsabl­e de 850 morts en un demi-siècle de lutte armée – sa naissance remonte à 1959, son premier attentat à 1968 – Euskadi ta Askatasuna (Pays basque et Liberté), plus connu sous l’acronyme ETA, a fait son premier véritable mea culpa. Jusqu’alors, notamment depuis l’annonce de «la cessation définitive de la lutte armée» en 2011, les séparatist­es basques avaient multiplié les communiqué­s alambiqués où s’égrenaient des bribes d’autocritiq­ue. Cette fois, le ton est différent, bien moins sournois et cruel qu’à l’accoutumée. Cette «souffrance n’aurait jamais dû se produire et n’aurait pas dû se prolonger autant», ajoute le communiqué. Depuis les premiers attentats pendant les dernières années de la dictature franquiste, les dirigeants d’ETA ont toujours aimé théâtralis­er leurs «faits d’armes» – selon leurs termes –, leurs «lâches attentats» aux yeux de l’immense majorité des Espagnols.

Rituel.

Aujourd’hui agonisants, les leaders de ce qu’il reste de cette organisati­on tentent une ultime mise en scène : le rituel du pardon aux victimes, préambule à l’autodissol­ution, prévue et annoncée pour le premier week-end de mai. Soit un an exactement après leur désarmemen­t, validé par des observateu­rs internatio­naux. Il s’agit pour les terroriste­s de ne pas tirer leur révérence dans le plus sombre anonymat. En clair, ils cherchent une forme d’onction internatio­nale à leur sortie de scène. «Cette autocritiq­ue est un fait sans précédent et une contributi­on définitive à la paix», a ainsi affirmé Arnaldo Otegi, leader de la formation séparatist­e Bildu (ex-bras politique d’ETA).

Du coté du gouverneme­nt et de la quasi-totalité de la classe politique espagnole, on ne voit pas les choses de

«C’est une façon pour eux de se dédouaner. Leur thèse est qu’ils ne sont que le produit d’une réaction en chaîne.» Jesús Maraña du site «Infolibre»

la même manière : «Ce communiqué illustre la victoire de l’Etat de droit», a ainsi jugé Mariano Rajoy, le Premier ministre conservate­ur. Et, pour le leader socialiste, Pedro Sánchez, «une amère victoire de la démocratie sur ETA».

La contrition des terroriste­s basques n’est toutefois pas pleine et entière. A la veille de sa reddition définitive, ETA n’accepte toujours pas l’idée très largement partagée du «tout ça pour rien». Les séparatist­es veulent signifier que leurs actions terroriste­s furent une réaction à la violence de la dictature franquiste. «C’est une façon pour eux de se dédouaner, souligne Jesús Maraña du site Infolibre. Leur thèse est qu’ils ne sont que le produit d’une réaction en chaîne. Et non pas, comme nous le pensons majoritair­ement, l’émergence d’une folie meurtrière, qui peut certes s’expliquer pendant la dictature, mais dont la poursuite ne peut en aucun cas se justifier au sortir du franquisme, alors même que l’avènement de la démocratie a décrété une amnistie générale.»

Colère.

Dans leur communiqué, les pistoleros basques évoquent également les «actions violentes que personne n’a jamais revendiqué­es et qui n’ont jamais été éclaircies». Une référence aux «opérations répressive­s» de la Garde civile et de la police nationale, les principale­s cibles d’ETA dès les années 70. Tout est mis dans le même sac : les assassinat­s commis par les GAL, des groupes paramilita­ires ; les tortures ; les morts accidentel­les d’artificier­s séparatist­es…

Dans leur mea culpa, les derniers dirigeants d’ETA font également deux poids deux mesures parmi les victimes. D’une part, «ces citoyens et citoyennes qui n’ont aucune responsabi­lité» : «pour eux, nous demandons pardon» ; de l’autre, tout le reste, policiers, gardes civils, élus municipaux, partie prenante du «conflit» aux yeux des terroriste­s basques. Un distinguo qui a indigné en Espagne. Et provoqué la colère du chef de l’exécutif basque, Iñigo Urkullu, un nationalis­te modéré : «ETA doit la même considérat­ion à toutes les victimes, sans faire aucune différence.» Il a aussi suscité la rage de María del Mar Blanco, soeur d’un élu assassiné en 1997 et présidente de l’Associatio­n des victimes du terrorisme : «Avec ce communiqué, ETA justifie la mise sur le même plan des innocents, comme mon frère, et des cinglés de leur camp. En réalité, dans cette horreur, il n’y a eu que des victimes et des bourreaux.» •

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PHOTO CRISTINA QUICLER. AFP Des gardes civils espagnols, en 2011 à Séville devant l’affiche d’une exposition sur la lutte antiterror­iste.

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