Libération

Série/ «Here and Now», non mais hallu quoi !

Créé par le scénariste de «Six Feet Under», cette première saison permet de replonger dans l’univers mystico-délirant cher à Alan Ball.

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«Je ne suis pas fou. J’ai un esprit poreux», explique Ramon à sa famille. Le jeune homme (interprété par le ténébreux acteur costaricai­n Daniel Zovatto) – concepteur de jeux vidéo – voit le nombre «11 11» apparaître dans les moindres recoins de son quotidien IRL (in real life) ou en pixels : sur une horloge, sur une banale facture, sur son jeu vidéo ou marquant son champ de vision en chiffres de feu. Il développe (en bonus) une connexion plus que troublante avec son psy, dont il voit en rêve les blessures d’enfance. Etrange ? Non, une habitude avec Alan Ball. Les histoires du scénariste américain, fasciné par les désenchant­ements de familles progressis­tes américaine­s, se retrouvent bien souvent criblées de mystico-délires du type: parler posément aux spectres de proches (il faut se souvenir de la famille Fisher, les joyeux fossoyeurs dans la série Six Feet Under entre 2001 et 2005), ou rêver de jeunes filles en fleur (on verra Angela au plafond entourée de roses, dans le long métrage de Sam Mendes, American Beauty).

Avec la série Here and Now –dont la première saison vient de s’achever cette semaine – on retrouve le goût prononcé et précisé du scénariste pour les maxi-hallus ainsi fortement condensées dans un personnage: ce Ramon, l’un des enfants d’une couvée multiethni­que au sein de la famille Bayer-Boatwright, bobos vivant à Portland, qui vont devoir faire les comptes avec leurs propres intoléranc­es couvées par l’usage poussif de la discrimina­tion positive. En pleine ère trumpienne, Alan Ball manipule, à la force de son humour noir et de son empreinte audacieuse et visionnair­e, quelques personnage­s fascinants, tout en étant un peu trop malheureus­ement attiré par ses fantasmes de photogénie dépressive chic qui enrobe la plupart des séquences de la série, c’en est fatiguant. Pour rester captivé, il suffirait ne serait-ce que de se coller à la mère qui s’érige en chantre de la bien-pensance, jouée par l’incroyable Holly Hunter. Ou Navid, l’enfant genderflui­d d’une autre famille, musulmane, qui porte le voile, la fragrance du fard à paupières et, en étendard, les idéaux d’une véritable tolérance aux frontières amovibles. Ball sait encore ériger des figures d’avenir en nous contaminan­t d’une envie de grandir à leurs côtés. Mais là où il semble se perdre dans sa propre course, c’est en distinguan­t ce pourtant captivant Ramon en un possible fou, médicaleme­nt, du moins aux yeux des autres personnage­s, là où, dans ses précédents récits, il savait poser la loufoqueri­e à l’état de simple détail de vie. Parler aux morts et sentir la respiratio­n de choses immatériel­les était chose quotidienn­e. Comme si le scénariste avait lui-même concédé que, dans cette nouvelle époque, par-delà l’aberrant, il y aurait moins de place pour les magico-barjos bien portants et plus d’espace pour les visions qui s’expliquent, les rêves décevants. JÉRÉMY PIETTE HERE AND NOW d’ALAN BALL saison 1 (10 épisodes disponible­s) en replay sur OCS Go.

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PHOTO HOME BOX OFFICE Ramon (Daniel Zovatto) voit des «11 11» partout.

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