Libération

L’Irak en toile de front Brian Van Reet, vétéran américain, et Samira Sedira racontent tous deux les ravages des conflits au Moyen-Orient

- Par ALEXANDRA SCHWARTZBR­OD

LACHARNEME­NT Babel, 206 pp., 7,80 €. es guerres, on le sait, sont d’inépuisabl­es sources d’inspiratio­n pour les romanciers. Violence, amoralité, injustice, peur, désespoir, orgueil…, elles charrient la plupart des sentiments que brassent en continu les auteurs de fictions. Après la guerre d’Algérie à l’automne dernier, les conflits successifs qui ont déchiré l’Irak ces dernières décennies sont le cadre de deux très beaux romans, le Fer et le feu de Brian Van Reet, et la Faute à Saddam de Samira Sedira. Centrés sur les ravages psychologi­ques que produit la guerre sur des jeunes gens que rien n’a préparés au feu des canons et autres missiles intelligen­ts, ces textes n’ont rien en commun, ni dans le style ni dans l’intrigue, et pourtant ils laissent la même trace, celle de l’absurde, de la tragique bêtise autodestru­ctrice des hommes. Brian Van Reet est un vétéran de la guerre d’Irak de 2004. Il avait 20 ans au moment des attentats de New York, en 2001. Ce petit-fils de militaires s’est alors engagé pour deux ans dans l’armée où il a servi comme équipier dans un char au Moyen-Orient. Il y restera finalement quatre ans. Quatre longues années qui l’ont vacciné à jamais contre les opérations militaires. A son retour, il prend des cours d’écriture et, pour exorciser les horreurs dont il a été témoin, commence à écrire des nouvelles, puis ce premier roman à la structure complexe mais au style aussi acéré qu’une lame de couteau. Complexe car plusieurs voix se font entendre à des moments différents et il faut un certain temps pour le comprendre. Le personnage principal est une jeune femme, Cassandra, engagée dans un régiment blindé de cavalerie. Elle ne sait pas vraiment pourquoi elle est là, elle est surtout préoccupée par la difficulté à s’imposer dans cet univers d’hommes, de gros bras et de grandes gueules. Autres figures marquantes, un jihadiste «à l’ancienne», convaincu de la nécessité de combattre les Américains mais hostile aux nouvelles méthodes de terrorisme, et un militaire «Je ne savais plus comment m’atteler à la rédaction de mes discours voués à rien ni personne, perdus dans l’enfer de leur intention ; quant au discours parfait que j’avais caressé de mes espérances, j’en avais déjà depuis longtemps reconnu l’inanité fondamenta­le, renvoyé l’idée aux oubliettes, emportés avec la kyrielle des tentatives avortées.» américain dont l’immaturité va être la cause d’un kidnapping fatal.

On reconnaît l’ancien soldat dans le style de Van Reet, ramassé, sec, efficace. Et dans sa descriptio­n des armes aussi. On «est» dans le char, on vit l’enfermemen­t, la peur, et surtout l’impuissanc­e. «La mitrailleu­se tressaute sur son trépied telle une centrifuge­use devenue folle, et sous l’effet du recul, le toit du Humvee vibre. Un curieux sentiment remplace la tension de Cassandra au moment de l’attaque. Elle est envahie de ce calme étrange qui naît après le déclenchem­ent de la catastroph­e. En dix-neuf ans, elle en a vécu quelques-unes, mais aucune n’a menacé davantage que celle-là l’invulnérab­ilité de sa jeunesse», écrit Van Reet. Samira Sedira, elle, s’attache davantage aux origines et à la toile de fond sociale des soldats. Sa guerre d’Irak est plus ancienne, c’est celle de 1990, quand Saddam Hussein entreprend de faire main basse sur le Koweït, mais on y retrouve le même ennui, la même pesanteur, la même incompréhe­nsion que chez Van Reet. Sedira, qui est aussi comédienne, a un style magnifique, quasi poétique. Ses premières lignes rappellent irrésistib­lement le Dormeur du val, de Rimbaud. «Entre les blessures creuses du sol, et les éclats de pierre, il dormait à la précieuse fraîcheur de l’aube. Une fine pellicule de sable jaune recouvrait son visage. Quelques grains graciles retenus dans les cils recourbés tremblaien­t aux faibles mouvements de l’air. Sa bouche ouverte, juste assez pour laisser passer le canon du revolver, formait un rond parfait, une voyelle silencieus­e.» L’auteure brosse le destin de deux jeunes amis grandis dans un quartier populaire de Toulon, l’un issu de l’immigratio­n italienne, l’autre maghrébine. Il suffit que l’un décide de s’engager dans l’armée pour que l’autre le suive. Mais il n’est pas facile d’être un immigré arabe quand on se bat en Irak. «Un jour, alors qu’ils étaient réunis sous la tente […], l’un d’eux lui demanda, sans vraiment mesurer la portée de ses paroles ni augurer de ce qu’elles allaient entraîner : Adel, qu’est-ce que ça fait d’aller se battre contre ses frères? Dans un premier temps, Adel ne comprit pas de quoi il retournait. Mes frères. De quels frères parlait-il? Puis saisissant enfin le sens de la question, bien qu’étonné qu’on la lui posât, il ne sut que répondre […]. Adel sourit et baissa le regard sur ses rangers. Plus tard, il se dirait que ce fut là sa plus grossière erreur», écrit Samira Sedira qui, avec ce troisième livre, confirme ses talents de romancière. •

La guerre d’Irak de Sedira est plus ancienne, c’est celle de 1990, quand Saddam Hussein entreprend de faire main basse sur le Koweït, mais on y retrouve la même incompréhe­nsion que chez Van Reet.

BRIAN VAN REET LE FER ET LE FEU Editions de l’Olivier, 296 pp, 22 €. SAMIRA SEDIRA LA FAUTE À SADDAM «La brune» au Rouergue, 108 pp., 13,50 €.

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