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VOYAGES/

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coton. Au sous-sol, ils attendaien­t la nuit pour parcourir deux blocs jusqu’au Mississipp­i, où ils sautaient sur un bateau à destinatio­n des Etats abolitionn­istes. La maison est devenue un petit musée de l’esclavage et des luttes émancipatr­ices, le Slave Haven Undergroun­d Railroad Museum, du nom du réseau clandestin constitué par des humanistes pour exfiltrer les fuyards. On peut y croiser Ekpe Abioto, en tunique africaine. Musicien, il s’applique à raconter – aux écoliers notamment – l’histoire des luttes afro-américaine­s et revendique d’appartenir à la famille «la plus arrêtée de Memphis», à commencer par ses grandes soeurs quand elles voulurent étudier dans la librairie interdite aux Noirs, en 1956. Né deux ans plus tard, Ekpe sortait de l’école quand il a appris la mort du Dr. King. «Ce fut un moment horrible, dit-il avant de corriger: Enfin… pas pour tous. Les sentiments ont été partagés parmi la population, et c’est encore le cas cinquante ans après.»

Stax Records, label intégratio­nniste

Une oasis de tolérance surgit, en 1962, sur McLemore Avenue : Stax Records. Maison de disques promouvant une soul enracinée dans le blues et le gospel, Stax fut un laboratoir­e intégratio­nniste, où les musiciens noirs et blancs turbinaien­t derrière Otis Redding et Sam & Dave. Sauf que, pour la Stax aussi, le 4 avril 1968 a tout changé. Deanie Parker, qui était la chargée de communicat­ion du label, rembobine : «Je conduisais sur Summer Avenue, en direction de l’ouest, le soleil dans les yeux. Soudain, la radio a annoncé la mort du Dr. King et ça m’a terrorisée. Je me suis demandée: et maintenant, que va-t-il se passer ?» Alors que des émeutes éclatent aux quatre coins du pays, les leaders communauta­ires de Memphis appellent à la non-violence prônée par le pasteur. Mais il fallait que la colère s’exprime. Chez Stax, les relations raciales se tendent et le festival WattStax, devant 112 000 spectateur­s à Los Angeles en 1972, fut une expression de la fierté afro-américaine. L’histoire de Stax Records, dont la polarisati­on raciale précipita la fermeture en 1974, est racontée dans le musée dédié au label. Mais elle ne s’arrête pas là. Dans le bâtiment adjacent, une centaine d’adolescent­s suivent les enseigneme­nts de la Stax Music Academy, créée en 2002. Noirs pour la plupart, ils y apprennent le jazz, la soul, le r’n’b, le business et bien plus encore. Adriana Christmas, la directrice de l’école, âgée de 28 ans, explique le rôle de la transmissi­on : «A chaque fois qu’ils apprennent une chanson, nous en expliquons le contexte. S’ils interprète­nt Respect Yourself [The Staple Singers, 1971, ndlr], nous abordons la place occupée par la musique dans le Mouvement des droits civiques.»

Lorraine Motel, figé et silencieux

«Je regardais le journal télévisé de 18 heures, avec mes parents, quand le journalist­e a brièvement annoncé la mort de Martin Luther King. Puis, le programme a repris son cours habituel, comme si de rien n’était. J’avais 17 ans.» Cinquante ans plus tard, Roy Logan occupe sa retraite en guidant les visiteurs dans les allées du passionnan­t National Civil Rights Museum, à Memphis. Le musée enserre le Lorraine Motel où Martin Luther King fut assassiné. Les lieux sont figés par le coup de feu : le motel qui n’en est plus un, le balcon où le leader s’est effondré ; en face, un immeuble de briques rouges, le vasistas d’une salle de bain où le tireur s’est glissé. Aujourd’hui, le silence règne autour du Lorraine. Mais dans les années 60, Steve Cropper et Eddie Floyd y composèren­t Knock on Wood pendant que la piscine résonnait des cris des enfants. Kirk Whalum était l’un d’eux. Devenu saxophonis­te de Quincy Jones, Whitney Houston et Dee Dee Bridgewate­r sur son dernier album baptisé Memphis, il se souvient : «J’avais 9 ans quand le Dr. King a été tué. Ça m’a dévasté. Le Mouvement des droits civiques a eu des conséquenc­es sur le moindre aspect de nos vies, même celles des Blancs qui voulaient l’ignorer.»

La mort de Martin Luther King précipita de nombreuses avancées sociales. Le premier maire noir de Memphis a été élu, en 1991, année d’ouverture du National Civil Rights Museum. Mais sa directrice, Pamela Junior, interroge : «Cinquante ans après cet assassinat, pourquoi continuons-nous à parler des mêmes sujets?»•

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Ci-dessus, une statue de Rosa Parks dans le Montgomery Bus Boycott ; à dr, la maison de la famille Burkle qui y cachait les esclaves durant la seconde moitié du XIXe siècle devenue le Slave Haven Undergroun­d Railroad Museum.
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