Libéré, délivré
Une odyssée américaine foisonnante avec un jeune garçon habillé en fille et un improbable croisé de la cause abolitionniste.
CEST UN PIC. « Noir et blanc, avec une petite touche de rouge. » Cet animal à plumes, « on l’appelle l’Oiseau du Bon Dieu. Il est tellement joli que, quand un homme le voit, il dit “Bon Dieu !” » Et une légende voudrait que la plume de cette bête, réputée peureuse et difficile à attraper, apporte à celui qui la détient l’« entendement de tout le restant de [sa] vie ». Mais que fautil exactement comprendre dans cette croyance ? C’est l’un des enjeux de la quête initiatique d’un certain Henry Shackleford. En 1856, ce garçon métis du Kansas, alors âgé d’une douzaine d’années, pense que son destin est celui d’être comme son « P’pa », à savoir esclave. Mais c’était sans compter sur le vieux John Brown, qui intervient « avec la bénédiction du Seigneur pour libérer chaque homme de couleur sur ce territoire » . Accompagné par sa bande, ce drôle d’individu (ayant réellement existé) se sent en effet investi d’une mission divine, quitte à parfois (souvent, même) bafouer la loi. Lors d’un échange de coups de feu, le père du gamin reçoit une balle perdue qui lui sera fatale. Brown va alors recueillir l’orphelin, qu’il considère immédiatement comme sa mascotte, et le surnomme « L’Echalote ». Un malentendu, toutefois : le « sauveur » est convaincu qu’Henry s’appelle en réalité Henrietta et est une fille, dès lors habillé(e) comme telle… Comment forger son identité, dans un tel chaos ? Le gosse aurait même, au départ, tendance à croire que « cette vie de liberté et de lutte contre l’esclavage, ça vaut vraiment pas grand-chose ». On suivra alors les péripéties de ces aventuriers d’un monde en devenir, du Missouri esclavagiste à Harper’s Ferry, Virginie, en passant par le bordel de Miss Abby à Pikesville en plein coeur du Maryland…
Lauréat du National Book Award 2013, L’Oiseau du Bon Dieu a tout du croisement réussi entre la fresque picaresque et le western classique. Scénariste et jazzman, James McBride revisite avec brio l’histoire américaine et brosse ainsi le portrait tout en nuances d’un individu qui « croyait que Dieu était de son côté. […] Le problème, c’est que Dieu, Lui, Il dit jamais à personne pour qui Il est » . Si le récit pèche par quelques scènes superflues, l’auteur enchaîne toutefois les péripéties avec une grande fluidité et se permet même des moments poétiques, nous rappelant que les abeilles ont en commun avec les oiseaux de pouvoir s’envoler…
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