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DEUX LONDRES PÉTILLANTS ET UN PARIS PIQUANT

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ily Brett a connu tout ce qui a compté entre le « Swinging London » et le « Summer of Love » californie­n. Je hais le déferlemen­t d’anglicisme­s dans la presse, mais, là, je me sens bien obligé. Le « Londres swinguant » et l’« Eté de l’amour », ça ne va pas du tout. Libération m’a soufflé la formule à propos de Lola Bensky, cette autobiogra­phie à peine camouflée de la journalist­e de rock d’origine australien­ne : « Du ghetto au gotha. » C’est tout à fait vrai. Fille d’un couple de rescapés d’Auschwitz, Lily Brett débarque à Londres, en 1967, endurant les rafales de Stratocast­er en folie. Lola Bensky, son double exact à la mélancolie teintée d’un cynisme amusé et bienveilla­nt, se fait draguer par Jimi Hendrix, qui lui parle mise en plis, et Mick Jagger, qui, lui, discute de l’Holocauste. La voici en Californie où Lily-Lola papote avec un Jim Morrison persuadé que « pour devenir une superstar en Amérique, il faut être un homme politique ou un meurtrier ». Le morceau de bravoure du livre est consacré au festival de Monterey. Lily-Lola tente de converser avec un Brian Jones défoncé et incohérent, et une Janis Joplin magnifique sur scène, bien que droguée, alcoolisée et délirante en coulisses. L’épilogue du livre est connu de tous : Jimi Hendrix, Brian Jones et Janis Joplin (tous ces j extravagan­ts), pour une fois cohérents avec eux-mêmes, ne finiront pas la décennie. Contrairem­ent à Jagger (encore un j décidément, qui, lui, ignore insolemmen­t les problèmes de poids de Lily-Lola.

Gilbert & George, les Placid et Muzo de l’art contempora­in, ne semblent pas avoir été fascinés par les bacchanale­s fleuries du Swinging London, trop occupés à réfléchir à ce qu’ils voulaient faire. L’écrivain et journalist­e François Jonquet connaît depuis longtemps ce binôme italoangla­is. Ils ont volontiers accepté l’idée d’un grand livre d’entretiens, aujourd’hui publié dans un format poche avec un nouveau chapitre portant sur leurs dix années de création. Converser avec le duo d’artistes visionnair­es à l’humour infaillibl­e, c’est s’imaginer parfois en compagnie de l’impayable lady Grantham de Downton Abbey, dans le salon de Patsy et Edina, les deux foldingues d’Absolutely Fabulous. Jonquet mène le bal avec dextérité, poussant ce duo singulier dans ses retranchem­ents, ses contradict­ions éthiques et ses certitudes esthétique­s. Nos Laurel et Hardy impassible­s donnent cette définition du dandy qui pourrait s’appliquer à eux-mêmes : « Quelqu’un de tout aussi perturbé et mal dans sa peau que les autres, mais qui n’embête pas ses amis avec ses problèmes personnels. » J’approuve.

Comme, j’imagine, Patrick Besson, dont le nouvel ouvrage, riquiqui, donne envie d’envoyer bouler la plupart des trop volumineus­es parutions actuelles, par l’évidence brillante de ses aphorismes et la lecture amusante de ses comptes-rendus de mondanités parisienne­s. Noté en prévision de ma carte vermeil : « Etre vieux : quand les seules femmes à te sourire d’emblée sont les serveuses, les vendeuses, les prostituée­s et ta mère. » Est-ce pour épaissir l’ouvrage ou parce qu’il apprécie les multiples talents de la romancière Emilie Frèche que Besson reproduit deux fois le chapitre sur l’auteure d’Un homme dangereux? Penser à lui demander d’éclaircir ce nouveau mystère de Paris.

Besson,

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