Sperling sous X
Quatrième roman d’un jeune auteur trop vite porté en haut de l’affiche, cette subtile histoire américaine est une belle surprise et un intense moment de lecture.
Et si Sacha Sperling était enfin devenu ce qu’il était : romancier ? Histoire de petite fille recèle en effet ce que nous avions pressenti chez lui depuis six ans (une vraie patte, une énergie), mais il est d’une force brisant enfin les chaînes d’un univers romanesque jusque-là trop engoncé. On avait découvert l’auteur en 2009, avec Mes illusions donnent sur la cour, fort honorable premier roman autobiographique sur la jeunesse dorée (l’auteur est le fils des cinéastes Alexandre Arcady et Diane Kurys), l’alcool et la défonce. Les CÏurs en ska• mauve (2011) était aussi raté que le suivant, J’ai perdu tout ce que j’aimais (2013), était réussi. En somme, Sperling n’avait pas entièrement convaincu, mais on l’attendait toujours. Cette fois, il nous épate. Ce nouveau roman est porté par un personnage féminin tragique, furieux, révolté. Comme ses copains et copines, Mona a l’âge des premières fois : le sexe, la bouteille et même les lignes de coke. Résidant chez sa mère et un beau-père qui fantasme sur elle, la jeune fille de 13 ans vit à deux heures de Los Angeles, à Paradise Hills, une « banlieue qui ressemble au coma ». Elle crie son envie : « Bouffer le soleil et m’enfuir, pleine de sa lumière. Je voudrais un destin. N’importe lequel. » Alors elle va s’en bâtir un.
Pour cela, Sperling opère un premier changement de direction après avoir (bien) planté le décor : une fugue, des bitures, quelques usurpations d’identité et un grand coup d’accélérateur nous plongent dans une success story californienne. Et, surtout, dans le monde de l’industrie pornographique à l’heure du Web, dont notre adolescente devient une star. Mais ce n’est ici que la face A d’un grand plan, celui de la revanche XXL de Mona (sur les hommes, le sexisme, la mère, l’exploitation, la fatalité). La suite est furieuse, portée par plusieurs narrateurs (la principale demeurant Mona), et joue sur différents registres et des variations de vitesse. Le jeune auteur manie une provocation et une ironie qui tapent juste (« Je suis le rêve américain, du sperme plein la gueule. Je suis riche. Comme un rappeur. Comme un homme d’affaires. Le compte en banque de Donald Trump et la bouche de Donald Duck. ») Au public français, ce roman rappellera forcément les récents romans « américains » de Véronique Ovaldé ( Des vies d’oiseaux, 2011) ou, plus récemment, Héloïse Guay de Bellissen ( Les Enfants de chÏur de l’AmŽrique, 2015). Sperling montre ici une intelligence sociale, une vivacité narrative remarquable et un sens aiguisé de la révolte et de la destinée. De la verve, du plaisir, du bonheur. Hubert Artus
Sacha Sperling,
un corps. Un corps gauche, rétif, hagard, dépeint avec une justesse, une grâce qui tient du miracle. Enfant, il fut mis à la disposition du bienêtre domestique. Adolescent, il subit les pires humiliations, quand, à 12 ans, ses seins poussent d’un seul coup, « comme un nouveau continent ». Adulte, ce corps perdra pied, sous le poids d’un secret qui fera que ni son père ni ses cinq frères n’oseront la regarder encore dans les yeux. « Sous ses paupières maquillées d’un trait bleu saphir, les prunelles roulent, rétrécissent, puis disparaissent, comme des insectes affolés dans un verre de lait. »
Enveloppant ses personnages d’une prose hypnotique, Samira Sedira réussit à merveille à parler des non-dits, de la solitude et du dysfonctionnement familial, pourtant trempés d’amour. On en sort sonné, le regard grand ouvert, comme ranimé. Estelle Lenartowicz
Samira Sedira,